La diffusion de la culture peine à s’enraciner en milieu rural

par | 9 Mai 2023

La situation n’est pas récente. Mais elle n’évolue guère, sauf à mettre en exergue des initiatives et des expériences individuelles ou privées que portent des paysans, des agriculteurs mais aussi des réseaux associatifs sur le territoire national. Les pouvoirs publics eux n’occupent pas le devant de la scène, quand bien même ils affichent, en façade, une farouche volonté d’accompagner ce nécessaire développement.

S’il est indéniable qu’agriculture et culture partagent une racine commune, à savoir : cultura (au sens de se cultiver en latin), force est de constater que ce simple constat étymologique est un peu l’arbre qui cache la forêt. Milieux urbains et milieux ruraux ne sont pas logés à la même enseigne, en termes de production et diffusion culturelles. Sans compter l’absence, ou quasi absence de politiques publiques de développement culturel dont le cadre serait le territoire national. Et pas uniquement les métropoles, voire les villes de moyenne importance. La situation perdure. Elle semble profondément enracinée et peine à évoluer.

Les pouvoirs publics nationaux, et notamment le ministère de la Culture, auraient pris conscience de cet état de fait. Ainsi en juin 2018, le dit ministère convoque les Premières Rencontres nationales « Cultures et ruralité ». La question d’introduction à cette journée de réflexion est sans équivoque. « Pourquoi la culture est-elle associée à la ville ? », interroge ainsi le journaliste Stéphane Courgeon, animateur des Rencontres nationales. Et dans son compte rendu, le ministère explique « la question posée… renvoie à une réalité trop souvent occultée : les territoires ruraux sont aussi des territoires culturels, dotés, au même titre que les territoires urbains, d’un fort potentiel d’expérimentation, d’innovation et de développement ». Dont acte !

A ce stade de la réflexion, soit en juin 2018, le ministère de l’Agriculture est certes associé, mais sur un champ restreint. Les forts enjeux de développement culturels identifiés sont, alors essentiellement, circonscrits à la gastronomie, « partie intégrante de notre culture ». Accessibilité à la diffusion d’oeuvres culturelles (spectacle vivantmusique, cinéma…) font l’objet de quelques grandes lignes d’orientation. L’itinérance de la culture est ainsi érigée en vertu cardinale. Autre grand enseignement de cette Première Rencontre nationale Culture et ruralité : les collectivités territoriales sont largement sollicitées, y compris dans l’accompagnement financier des projets culturels. Et ce afin de ; « co-construire un développement culturel et rural cohérent à l’échelle régionale ».

Cinq années sont ainsi passées. Au regard des quelques données disponibles relatives aux problématiques précédemment évoquées, force est de constater que le tableau demeure sombre.

Coup de projecteur sur La Normandie

La Région normande illustre le propos. En 2023, les services déconcentrés de l’Etat relatifs à la culture, à savoir la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) admettent encore que « la notion de ruralité n’est pas très claire, mais que cela commence à s’affiner… ». Pour autant, et contrairement à bon nombre d’autres régions administratives françaises, la DRAC de Normandie a initié de nouveaux dispositifs, favorisant l’accès à la culture en secteur rural. Sous forme d’appel à projet, la DRAC normande co-finance des projets, avec la Région et deux départements : Calvados et Manche. Les dits projets doivent impérativement s’ancrer « durablement sur le territoire normand », explique la DRAC de Normandie, dans le cadre de « Territoires ruraux, territoires de culture ». Et ce bien avant le grand raout de juin 2018, soit dès 2011.

Un petit calcul permet de mesurer « l’ampleur » des actions culturelles de l’Etat en milieu rural normand. En 2022, le budget du ministère de la Culture s’élevait à 4,083 milliards d’euros, hors part de l’audiovisuel. Ce budget en toute logique républicaine devrait être également réparti sur l’ensemble du territoire national. Cette même année, soit 2022, la France dénombre 65 646 837 habitants, dont 3 307 330 sont normands, ou 5% de la population nationale (source Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE). Toujours selon l’institut 
A toutes choses égales par ailleurs, 5% du budget de la culture revenaient aux Normands, ou 50 millions d’euros. Toujours selon l’INSEE : « un Normand sur deux vit en secteur rural en 2021 ». La part budgétaire leur revenant peut être ainsi estimée à 25 millions d’euros.
La DRAC de Normandie a consacré 134 000 euros, au tire du dispositif « Territoires ruraux, territoires de culture », soit 0,53 % de l’enveloppe ci-avant  déterminée. Le ratio indique que le plan de culture du ministère de tutelle en milieu rural demeure une espèce de jachère. Pas étonnant dès lors que des expériences de diversifications, plus ou moins individuelles de la part d’agriculteurs éclosent hors sol étatique, avec plus ou moins de réussite.

Réseaux et initiatives privées culturelles en milieu rural

Une autre ombre obscurcit le tableau du développement culturel en milieu rural. C’est le cas notamment en Normandie. Il s’agit des critères d’attribution des subventions publiques. Thierry Lemaître est éleveur laitier bio dans l’Orne. Après une parenthèse de quelques années, il reprend cette année, après l’été, la diffusion de concerts à la ferme. Un temps et un lieu d’échange privilégié avec un public divers qui produit du sens selon l’éleveur. Mais rien n’est simple en la matière. « Au départ, on nous a laissé le temps de l’expérimentation, raconte Thiery Lemaître. Nous étions trois structures adhérentes d’un réseau Culture à la ferme, et nous nous partagions une enveloppe de subventions de 30 000 euros. Bien vite nous avons été jugés sur le volume de spectateurs… et 1500 pour 4 à 5 créations par an ce n’était plus suffisant pour obtenir des subventions ».

Culture à la ferme a disparu du paysage culturel normand. La ferme de Thierry bruissera en septembre 2023 de nouvelles sonorités. « Ce sont des jeunes qui ont repris le relais, précise Thierry Lemaître. Moi je ne fait que mettre à disposition les bâtiments qui accueille le public. C’est pour moi une forme de préparation au futur que de mettre de la culture sur nos territoires et ainsi pouvoir les ouvrir à d’autres gens que les ruraux ».

Cette même démarche anime d’autres paysans et agriculteurs sur l’ensemble du territoire national. Seul ou en réseau, plus ou moins constitué et structuré ils offrent un vaste panoramique sur la ruralité et nous interroge sur les relations, les liens entre campagne et ville. L’acte 1 d’une œuvre citoyenne à co-construire.

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