« Derrière le vivant, c’est la communauté terrestre qui se joue »

par | 16 Juin 2023

Outre ses travaux universitaires en tant qu’enseignant chercheur géographe à l’université de Lyon, Guillaume Faburel est co-fondateur du Réseau français des territorialistes et de la revue Sauvages. Première partie de l’entretien.

Les Champs d’ici : En quoi les grandes villes, les métropoles, sont-elles responsables des crises majeures de notre époque ? Et quelles sont ces crises ?
Guillaume Faburel : Il y a plusieurs crises emboîtées, et qui ne datent pas d’hier… qui renvoient au temps long de l’Histoire. Celle qui me semble être aujourd’hui, plus que déterminante, sur toutes les autres, mais cela ne veut pas dire que les autres soient mineures, c’est la crise écologique. Elle est majeure dans ce qu’elle requalifie, reconfigure, en théorie car il n’y a pas la matrice politique, intellectuelle derrière, notre rapport au monde et la vision de notre condition. Bref, sans grandiloquence, le devenir même de l’humanité.

La crise écologique teinte d’une couleur très singulière, les crises sociale, culturelle, politique, démocratique. On a un grand défi collectif et c’est certainement parce que l’écologie politique n’est pas advenue comme matrice de pensée, ou ne nourrit pas suffisamment le débat de manière disputationnelle, litigieuse, controversée. La crise écologique est reléguée au rang de crise parmi d’autres.

En quoi les villes en sont responsables ?
On a tardé en France à admettre que la ville n’était pas bonne conseillère pour l’environnement. Encore faut-il s’entendre sur quels types de villes et les raisons qui expliqueraient ce conseil mal avisé à l’endroit de l’environnement. Le problème des villes, c’est particulièrement celui des grandes villes, des très grandes villes. Celles qui servent un peu de pygmalion et dont d’autres plus petites singent les recettes. C’est vraiment l’idée de grandeur, de masse, d’illimitation. C’est là le problème, quasi métaphysique qui nous est posé collectivement. J’ai coutume de dire, mais après d’autres, il n’y a rien de nouveau là dedans, que la grande ville, et particulièrement le phénomène de métropolisation ; c’est à dire le modèle de la ville monde ; qui se déclinent selon les classements internationaux entre 120 et 600 à l’échelle du globe, constituent le problème. Et c’est un vrai pharmacon, on confond remède et poison. Il y a même, et encore, des économistes du GIEC qui disent que les grandes villes sont la solution au problème. Loin de moi, cette idée là. J’insiste sur le fait, que cette question des effets écologiques des grandes villes n’a pas suscité beaucoup d’intérêt. Derrière la grandeur, derrière la masse, ce sont des dispositifs techniques, des procédés de construction, des matériaux, une artificialisation, sans compter l’extraction forcenée. C’est à dire que si on veut passer du tout fossile au tout renouvelable, il faudrait extraire en l’espace de trente ans tous les minerais qui ont été extraits depuis l’antiquité. Voilà ce que ça donne en termes de transition énergétique par exemple. C’est une question de taille. Un a un problème avec les villes parce que on nous a rentré dans le crâne que nous étions immortels… illimités dans notre propre croissance… économique. Pour moi la croissance démographique n’est pas un problème. Tout dépend de ce que l’on fait de sa vie, de son mode de vie. On peut très vivre à 20 milliards, si on a un mode vie angolais ou chilien. En revanche on ne peut vivre à plus de 4 milliards si on a un mode de vie américain, ou européen. Mais la croissance économique a pour point d’ancrage et instrument : les villes. Lesquelles ont évolué à l’ère néolibérale dans leurs types d’activités spéculatives, dématérialisées, immobilières. La richesse, dorénavant le point de culbute, le surprofit se fait grâce aux mécanismes de métropolisation, depuis les cœurs flamboyants et les vitrines triomphantes des métropoles. Là le problème est ! Et alors d’un point écologique, on peut décliner, elles n’ont pas d’autonomie, elles consomment beaucoup plus d’énergie contrairement à ce que l’on pourrait croire intuitivement et qui consiste à penser que plus on est réuni plus on fait d’économies d’énergie. Non car plus on est réuni, plus des effets de seuil. Plus on est réuni, plus les tuyaux doivent être plus longs, plus larges… d’un point énergétique, alimentaire, de pollution, de vie humaine. L’artifice du croissancisme pèse sur nos consciences.

Quels sont, selon vous, les principaux prescripteurs de cette idéologie urbaine ?
 Il faut, peut-être, opérer une distinction. On parle d’une urbanisation généralisée du monde, des modes de vie qui se seraient urbanisés, y compris très loin des cœurs urbains… dans les mondes ruraux, par exemple, il y a des gens qui adoptent des modes de vie très urbains.
Moi je parle de mécanismes économiques et politiques. Du coup, les ressorts sont ceux du temps néolibéral, du capitalisme dit tardif : spéculation, dématérialisation, rente immobilière. Il y a des intérêts bien sentis, mais pour ça il faut polariser, concentrer. Voilà pour le champ économique.
Sur le champ politique, les pouvoirs d’État ont un très très grand intérêt à la métropolisation. Tout simplement, plus on est réuni, et ce n’est pas une théorie du complot, mais on sait que les villes se sont construites sur des valeurs d’autonomie et de sécurisation. Plus on est réuni au même endroit, plus cela facilite le contrôle. Plus cela justifie des règles politiques, alors de surveillance, si on est un peu mal luné, mais surtout d’organisation des conduites, de définition des bons comportements. Donc économique et politique, on le sait depuis l’anthropologie culturelle, cela est montrée depuis des millénaires, la ville cela sert d’abord à ça. D’un côté, la subsistance économique par la sécurisation des flux, et de l’autre la gouvernance des corps par l’avènement des États.

Il y a une vieille idylle entre le fait urbain triomphant et les universités. Les grandes villes depuis le 16e siècle adorent la pensée… le siècle des Lumières est celui des grandes universités urbaines. Encore aujourd’hui, dans le monde universitaire, beaucoup sont peu critique sur cet état.

Les mondes militants, aussi soyons clairs, écologistes depuis les villes, me semblent être très bien fondés en raison, mais pas nécessairement en cohérence du geste militant. Je suis troublé. On est encore dans une théologie quasi ouvriériste, pour laquelle j’ai le plus grand respect car je viens de là, mais qui est celle de la masse, du rapport direct au pouvoir, pour retourner les institutions. On est pas du tout sur la politique qui me semble aujourd’hui devoir être mise en œuvre, c’est à dire plus discrète, moléculaire, maraîchère ou potagère.

Si je devais résumer, on est tous des petits prescripteurs de cette idéologie. C’est là l’envergure du problème. Il va d’abord falloir commencer par trouver les ressorts et voir quelles pourront être les conditions de questionnements personnels et collectifs pour décoloniser ce fait métropolitain qui agit beaucoup sur nos systèmes de croyances et nos imaginaires

Au sommaire

Vous évoquez dans vos études et vos écrits, le vocable « le vivant ». Que recouvre cette notion ?
Il s’agit du grand partage nature – culture dont nous héritons. Nous avons assujetti le vivant et il est en voie d’éradication lorsqu’on l’a considéré comme un champ d’exploitation. Le vivant est d’abord un sentiment. Un sentiment de nature et de culture du vivant… et là c’est un chantier. Derrière le vivant, c’est la communauté terrestre qui se joue, et notre place, en tant qu’humain, mais aussi le lien entre humains.
En tout cas, le vivant, c’est la somme des entités qui composent ce qui vit et qui nous repose la question de notre propre existence, et de sa pérennité. C’est plutôt emprunté à l’anthropologie et la philosophie. Du coup, toutes les cultures organiques, toutes les manières de concevoir l’utilité écosystémique, écologique, rentrent pleinement dans ce cadre. J’insiste particulièrement sur cette question du sentiment de nature. Depuis l’urbain métropolisé, depuis l’artifice de nos vies, on a perdu ; mais l’a t-on jamais eu ce n’est pas une question de génération mais une question de trajectoire ; un lien qui serait un peu plus humble et décent. En tout cas un lien direct.

Ce qui vit, c’est nous dedans. On a un cœur qui bat. Le vivant on l’a encore en nous mais de moins en moins. Ce qui vit, c’est ce qui assure subsistance et reproduction. Depuis l’urbain on ne peut pas vivre. Les crises dont on parlait auparavant, les ruptures d’approvisionnement, la disette alimentaire et les problèmes énergétiques, depuis les villes, vont devenir violentes, très violentes. Nos habités urbains ne permettent de satisfaire nos besoins premiers.

Vivre de ce monde, et vivre avec ce monde, c’est vivre dans des formes d’habités qui soient respectueuses du vivant dans sa reproduction.
 

Propos recueillis 
par Gilles Motteau

Fin de la première partie mais retrouvez Guillaume Faburel, ci-après

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La réponse de Guillaume Faburel  enregistrée, dans les conditions du direct, lors du lancement officiel de notre média, le 31 mai 2023

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