Un autre tourisme s’impose

par | 16 Juin 2023

Devenu peu à peu une industrie à part entière, le tourisme est aujourd’hui responsable, en France et dans le monde, de dégâts sociaux et environnementaux majeurs. Des voix s’élèvent pour faire émerger une autre vision du tourisme, respectueux des hommes et des écosystèmes.

Est-ce l’appel de l’ailleurs, le goût de la découverte, l’envie de dépaysement, le besoin de s’extraire du quotidien qui nous poussent à vouloir voyager, toujours plus et toujours plus loin ? Un peu de tout cela sans doute, et cela ne date pas d’hier !
Présent dès l’Antiquité, le tourisme s’est développé au XVIIIe siècle avec l’apparition du Grand Tour,ce long voyage en Europe effectué par les jeunes hommes des classes bourgeoises.En 1936, les premiers congés payés démocratisent les vacances auprès des classes populaires. Mais c’est réellement dans les années 1950 que se développe le tourisme de masse jusqu’à devenir progressivement une industrie à part entière.
Avant la pandémie, en 2019, l’activité touristique avoisinait les 10 % du PIB mondial. « La croissance du tourisme international reste supérieure à celle de l’économie mondiale »,se félicitait en janvier 2020 le secrétaire général de l’OMT, l’Organisation mondiale du tourisme, Zurab Pololikashvili. Alors que le monde comptait 500 millions de touristes en 1995, la planète devrait en accueillir 1,8 milliard en 2030.
En France, première destination mondiale – avec près de 90 millions de visiteurs internationaux avant la crise du Covid-19 – le tourisme, bien que ralenti par les restrictions sanitaires, représentait 3 % du PIB en 2021. Soit 75,7 milliards d’euros, rappelle l’Insee. Environ 1,3 million de personnes travaillent dans ce secteur dans l’Hexagone.

Des impacts négatifs à la chaîne

Notre envie insatiable d’ailleurs, aussi irrépressible soit-elle, est lourde d’impacts. Le surtourisme en est l’emblème le plus connu, avec une pression qui dépasse l’entendement à certains endroits. Venise compte ainsi 30 millions de visiteurs annuels pour 55 000 Vénitiens. Selon l’OMT, « 95 % des touristes se concentrent sur 5 % des espaces dans le monde, en privilégiant souvent les mêmes périodes de l’année, avec une prédilection pour les sites naturels – en premier lieu, les zones littorales ». Dès lors, un profond déséquilibre s’instaure.
Certains centres-villes comme celui de Saint-Malo – 47 000 Malouins à l’année contre 200 000 résidents l’été – se vident de leurs habitants laissant place aux locations de courtes durées ; les boutiques de souvenirs se substituant aux commerces de proximité. La spéculation immobilière atteint des sommets, notamment sur les littoraux. Les habitants s’en retrouvent freinés dans leur accession au logement, que ce soit en location ou pour l’acquisition d’un premier bien, relate un rapport de l’Inspection générale des finances de juin 2022.
Du côté des employés, le panorama n’est guère plus réjouissant. Les conditions de travail se révèlent souvent pénibles, avec des horaires atypiques, et des emplois souvent peu considérées (plonge, ménage). « De nombreuses études ont souligné une qualité des emplois hétérogène, des conditions de travail s’améliorant peu, voire se dégradant, et une précarisation du travail », relève la chercheuse Caroline Demeyère, dans la revue Théoros. A l’international, l’industrie touristique rime aussi, parfois, avec travail des enfants.

Un désastre écologique

Les conséquences écologiques du tourisme de masse sont loin d’être négligeables. Selon un article de la revue scientifique Nature Climate Change publié en 2018, l’industrie touristique représente à elle seule 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, dont les trois quart sont liés aux transports. En France, c’est 11 % soit l’équivalent des émissions de 11 millions de Français sur une année entière, indique l’Ademe, l’agence de la transition écologique.
Le monde vivant dans son ensemble subit la pression touristique, avec la dégradation des écosystèmes. Dans son rapport de 2019 sur l’évaluation mondiale de la biodiversité, l’Ipbes, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, constate les effets délétères de la « croissance spectaculaire », ces vingt dernières années, du tourisme, et pointe ses « conséquences globalement négatives pour la nature », avec notamment la prolifération des espèces exotiques envahissantes due à la multiplication des voyageurs.
Le secteur est aussi responsable d’innombrables quantités de déchets. « Le lien entre le plastique et le tourisme n’est pas une coïncidence, relève le Programme des Nations unies pour l’environnement. Les produits en plastique à usage unique sont des moyens efficaces et économiques de se conformer aux normes en matière de santé, de sécurité et d’hygiène tout en garantissant des séjours sereins aux touristes ».
Résultat, les bords de la mer Méditerranée ont atteint une concentration en plastique quatre fois plus importante que dans « l’île de plastique » du Pacifique Nord, souligne un rapport de l’ONG WWF. 150 millions de personnes vivent sur les côtes méditerranéennes auquel s’ajoutent 200 millions de touristes. L’été, la pollution marine y croît de 40 à 200 %, selon les études.
Et que dire des ressources naturelles ? La question de la juste répartition de l’eau, entre touristes et locaux, fait de plus en plus débat, à l’approche de l’été. Dans les Pyrénées-Orientales, qui voient leur population quadrupler l’été, la situation est déjà critique et l’arrivée prochaine des vacanciers suscite l’inquiétude. D’après l’Ademe toujours, le tourisme entraîne « une multiplication par trois de la consommation annuelle d’eau et par quatre de la consommation annuelle d’énergie pour les territoires fortement touristiques ».

Le Mont Saint-Michel, mardi 6 juin 2023. Crédit Nicolas Chomel – GA presse

Réguler le secteur

Si la pandémie a laissé croire un temps à un « monde d’après », où le rapport au vivant et à la consommation serait différent, force est de constater que l’industrie touristique est repartie de plus belle.
De quoi excéder certaines villes ou sites naturels qui commencent à mettre en place des mesures (quotas de visiteurs, limitation des nuitées, etc.) pour freiner le flot continu de visiteurs. Les vacanciers, eux aussi, montrent des signes de lassitude. Selon un sondage Ifop publié en avril 2021, 88 % des Français étaient favorables à l’instauration de quotas ou à une restriction des visites pour les sites emblématiques. 44 % étaient même prêts à payer plus cher leur séjour pour voyager de manière plus responsable.
« La dé-densification du tourisme et l’ouverture à de nouvelles destinations rurales sont donc des objectifs majeurs du tourisme durable, souligne l’Ademe. Ce rééquilibrage est d’autant plus souhaitable qu’il va aussi dans le sens d’une meilleure accessibilité financière et physique des destinations de vacances, d’un tourisme durable pour tous ».

Repenser le tourisme

De plus en plus de voix s’élèvent pour proposer une autre vision du tourisme, plus respectueux des hommes et de l’environnement. Depuis la crise du Covid-19, le slow tourisme, mouvement qui consiste à prendre le temps, à s’imprégner pleinement des lieux et à privilégier les rencontres tout en respectant le territoire, gagne du terrain, tout comme l’éco-tourisme centré sur la découverte de la nature.
Les possibilités alternatives se multiplient : accueil chez l’habitant via des plateformes comme Couchsurfing ou Warmshowers, agritourisme ou bénévolat à la ferme (Woofing), découverte d’une ville avec un Greeter bénévole, etc.
Le rapport au voyage et au temps s’est aussi sensiblement modifié. Depuis quelques années, le flygskam – ou honte de prendre l’avion – a conduit les vacanciers à envisager d’autres possibles. En France, le voyage en train est de plus en plus prisé et le cyclotourisme bat des records, avec une hausse de 16 % de la fréquentation des véloroutes européennes entre 2021 et 2022, selon l’association Vélo et territoires. « Ces transformations de la mobilité doivent être accompagnées d’offres touristiques nouvelles », plaide le think tank The Shift Project, qui travaille sur la décarbonation de l’économie et du tourisme.
Laréflexion s’oriente aussi vers une meilleure utilisation des structures existantes et non à l’expansion continue des domaines touristiques. Décision rare mais qui pourrait faire jurisprudence, le tribunal administratif de Grenoble a annulé, fin mai, le Schéma de cohérence territoriale de la vallée skiable de Maurienne, qui datait de 2020. Celui-ci prévoyait « de nouveaux aménagements, l’extension de domaines skiables sur des sites encore vierges ainsi que la création de 22 800 nouveaux lits », relate le quotidien Libération.

Attention au greenwashing

Loin d’être gagnée, la transformation du secteur touristique demande avant tout un travail de fond, avec la mise en place de mesures politiques et économiques majeures, où les indicateurs classiques (PIB, emplois, développement économique) qui régissent cette industrie laisseraient place à des indicateurs sociaux et environnementaux.
Du côté des consommateurs – où le voyage en avion à l’autre bout du monde semble actuellement bien plus désirable que celui près de chez soi – l’heure est à la réinvention des imaginaires, dopés par la publicité. « Je passais dans le métro et je voyais ces grandes pubs [des compagnies aériennes] qui disaient : « Evadez-vous », raconte le 21 mai la militante écologiste Camille Etienne, sur le plateau de l’émission C Politique sur France 5. Vous voyez l’image que ça envoie à notre inconscient. C’est que nous sommes, dans notre quotidien, dans une prison, alors qu’on n’est pas censé s’évader de nos vies ».
Si les engagements du secteur touristique se multiplient, le social et greenwashing ne semble jamais bien loin. Labels éco-responsables, promesses de neutralité carbone, propositions de compensations… Les annonces ressemblent plus à un vernis vert qu’à une introspection du secteur, où croissance et consommation restent la priorité.
L’éco-tourisme, par exemple, censé promouvoir l’inclusion sociale et la protection de l’environnement, est devenu un business florissant, relèvent Ángeles A. López Santillán et Gustavo Marín Guardado dans leur ouvrage La Domination touristique. L’Ipbes, quant à elle, indique dans son rapport que « la demande relative au tourisme écologique, ou écotourisme, s’est […] accrue, avec des effets contrastés sur la nature et les communautés locales ».
A l’instar d’autres secteurs économiques, la sobriété – diminuer la longueur d’un trajet, le nombre de visites ou encore de la quantité de biens achetés, etc. – semble être l’une des clés pour redonner du sens au voyage. En somme, voyager moins mais pour voyager mieux !

Lexique 

Tourisme de masse : un mode de tourisme permettant à une grande partie de la population de voyager, en raison de coût des vacances amoindris.

Surtourisme : désigne la sur fréquentation due au tourisme et donc la saturation des lieux touristiques

Greenwashing (écoblanchiment) et socialwashing : désigne les techniques utilisées par une entreprise ou un organisme pour de se donner une image responsable à l’égard de l’environnement ou des conditions sociales.

Eco-tourisme : ou tourisme vert, est une forme de tourisme centrée sur la découverte de la nature.

Tourisme durable : désigne, selon l’Organisation mondiale du tourisme, un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil.

Agritourisme : tourisme rural, qui vise à faire découvrir les thématiques agricoles.

Pour aller plus loin

>>> Le poids économique du tourisme (Insee)

>>> L’empreinte carbone du tourisme mondial (Nature Climate Change)

>>> Le tourisme durable en France : un levier de relance écologique (Ademe)

>>> Voyager bas carbone (The Shift Project)

>>> Rapport d’évaluation mondiale sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes)

>>> Les Français et le tourisme durable (Ifop)


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