Importé d’Australie, le keyline design séduit petit à petit des agriculteurs français. Adopté au Mas des Claparèdes dans l’Hérault, le principe est simple, éviter que l’eau de pluie ne disparaisse trop rapidement dans le sol. Et en plus c’est adaptable partout…
Lundi 26 juin, 9h30. Au nord du Pic Saint-Loup et de ses 658 mètres d’altitude, le thermomètre flirte déjà avec les 30° sur la garrigue qui s’étend à perte de vue. Enfin presque puisque lorsqu’on arrive au Mas des Claparèdes, aux confins des communes héraultaises de Montoulieu et de Ferrières-les-Verreries, plusieurs personnes s’affairent sur une parcelle de terre. Si l’on n’est pas surpris de voir s’y dresser de jeunes plants de vigne, c’est plus leur disposition qui interpelle. Ici en effet et à la différence de ce qui se fait à quelques kilomètres de là dans le vignoble AOP du Pic Saint-Loup, les ceps ne sont pas impeccablement alignés sur des rangées tracées au cordeau, mais semblent plutôt suivre des sortes de courbes espacées de façon plus ou moins régulière.
Cultiver suivant les courbes de niveau
Sarah Cabello, la chef d’exploitation, confirme : « cet hectare de vigne, qui produira à terme du raisin de table (muscat, alphonse-lavallée, œillade noire…) est planté en keyline. C’est-à-dire que les bandes de culture suivent les courbes de niveau, entre lesquelles on trace au laser des fossés ou noues. Profonds de 60 à 80 centimètres, ils sont espacés de 0,75m à 1,50m en largeur en fonction de la pente et du matériel utilisé pour creuser. J’utilise d’ailleurs une bineuse que j’ai fait faire sur mesure ». Une description qui devient plus compréhensible lorsqu’on se rapproche du mas en lui-même et d’une deuxième parcelle, plus grande (2 hectares), mais située surtout sur une partie du domaine plus pentue et qui permet donc de mieux visualiser ce fameux paysage de keylines dont l’intérêt n’est pas uniquement esthétique.
Explications de Frédéric Roux, ancien dirigeant d’une agence de communication et propriétaire des lieux depuis 2018. « Lorsqu’on a acheté ce domaine avec Dominique ma compagne, notre volonté était de montrer que le seul avenir de la garrigue n’était pas d’être abandonnée aux promoteurs ou aux chasseurs et qu’ellepouvait être un lieu propice au développement d’une polyculture. Mais qui dit agriculture dit évidemment eau et dans cette zone karstique où nous sommes, elle ne reste pas en surface. Elle pénètre dans le sol et va rejoindre des rivières sous-terraines qui s’écoulent parfois profondément. Le domaine compte d’ailleurs deux forages, l’un à 248 mètres et l’autre à 160, et une citerne de 200m3 qui permet de récupérer l’eau de pluie. Ici, la moyenne annuelle de pluviométrie est de 1300 mm. Mais après avoir lu un article au sujet d’Alain Malard, consultant en hydrologie régénérative, on a décidé de le faire venir pour voir ce qu’il pouvait nous proposer. Retenir l’eau qui tombe du ciel, pour l’usage agricole ou domestique, nous a tout de suite séduit ».
Le constat du technicien est en effet formel. « Au Mas des Claparèdes, on est dans une sorte de cirque ou de bassin versant. Les eaux de ruissellement arrivent à un seul endroit où elles disparaissent dans le sol. Souvent en ayant au préalable érodé la terre. L’idée était donc de les capter, de les répartir et d’évacuer intelligemment les excédents. Et ça c’est possible grâce aux keylines. Une création d’un Australien, Percival Alfred Yeoman, qui s’est dit que c’était bête de laisser descendre l’eau dans la terre pour la faire remonter ensuite et qui a donc mis au point ce système de lignes clés (keylines) qui évitent de perdre jusqu’à 70 % de l’eau de pluie. Ce qui est le cas sur les terrains les plus pentus et les moins arborés ». L’autre avantage du keyline design est de permettre le développement de végétation. « Et plus il y aura de végétation, plus il y aura d’évapotranspiration et plus il pleuvra ».
En attendant qu’une forêt primaire, projet ultime de Frédéric et Dominique, ne voit donc le jour au Mas des Claparèdes, la première parcelle de deux hectares mise en culture il y a un an selon le principe du keyline design, commence à porter ses fruits. Façon de parler puisque Sarah y a planté des plantes aromatiques, origan, thym, sarriette, romarin, ou médicinales, comme l’hélichryse ou la lavande. Et s’il s’agit de végétaux qui ont de faibles besoins en eau, c’est uniquement parce que Frédéric Roux est attentif à cultiver des plantes adaptées au milieu. Car « le keyline design ne se limite pas aux zones arides et aux grandes parcelles. On peut s’en inspirer quelle que soit la zone climatique où l’on se situe et quelle que soit la taille du terrain considéré », confirme Alain Malard. Aujourd’hui, ce sont ainsi une trentaine d’exploitants agricoles en tout genre (viticulteurs, maraichers, éleveurs…) qui ont choisi le keyline design, sur plus de 300 hectares répartis aux quatre coins du pays !
Jean-Pierre Chafes
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