Jeune ferme collective des bords de Loire, la Ferme de l’Audace et ses 6 producteurs jonglent entre fragilité et force d’avec la reprise d’une ferme multi-générationnelle.Le modèle de cette nouvelle forme de ruralité fonctionne, quatre ans après leur installation.
Il est 10h Lundi. Arnaud quitte la réunion hebdomadaire de la Ferme de l’Audace pour lancer son four à pain. Magali elle, rejoint son laboratoire de transformation pour faire sécher ses kilos de pâtes artisanales dans la pièce d’à côté.
Au loin, les veaux, les brebis et les chiens courent, meuglent, bêlent et font société au coeur de la ferme de l’Audace et de ses 120 hectares en bord de Loire à Varades, à quelques encablures d’Ancenis, en zone naturelle protégée. Cette ferme a repris vie depuis désormais 4 ans.
La ferme appartenait jusqu’alors aux frères Ploquin, éleveurs locaux. A l’âge de la retraite, ils cherchaient à transmettre leur exploitation. Les appétits se sont alors aiguisés, et les projets de reprise se sont multipliés à vitesse grand V dans la région, jusqu’aux plus farfelus. La mairie de Varades propulsait alors un projet polluant d’un méthaniseur agricole pour fabriquer du biogaz en pleine zone naturelle protégée. Rien que ça.
C’était sans compter la volonté des cédants de transmettre leur ferme aux cinq jeunes producteurs en bio
Tous venus chercher là un projet collectif de reprise mais aussi créer un réseau de producteurs bio des environs pour réaliser la vente directe de leurs produits. Et c’est tout le noeud gordien de ces « Audacieux », tous liés par leur volonté personnelle de faire exister un espace agricole collectif vertueux ouvert sur le monde. « Il s’agissait à ce moment là, de construire un lieu de vie et de travail en imaginant que demain, chacun pourrait en sortir, sans écorcher l’activité des uns et des autres. C’était un véritable tétris ! » rappelle Arnaud Courault, jeune quadra père de 2 enfants.Lui a commencé début 2017 en produisant du pain une fois par semaine sur le site voisin du Bois Vert dans le fournil de Thomas Rabu, déjà installé lui en tant que paysan-boulanger depuis 6 ans. Auparavant, il avait mené sa vie dans l’humanitaire au Nicaragua, en Equateur et en Afrique ou en tant qu’ingénieur agricole, il réinstallait des
agriculteurs sur des zones post conflits ou catastrophes naturelles. Autant dire que l’atterrissage à la Ferme de L’Audace lui semble être le prolongement naturel de ce qui l’aidait à propulser auparavant. Cette fois, c’était son tour.
Ils ont donc entamé un long cycle de concertations sur le modèle à entreprendre pour une réussite de leur vocations. Ainsi une SCI régit le bâti, chacun crée son entreprise à la dimension qu’il souhaite, les terres sont gérées collectivement – et c’est le lieu de toutes les réunions – Court circuit, une association qui gère le marché de producteurs bio locaux, et une association de soutien, l’Audacieuse qui préside à l’ouverture vers l’extérieur, les activités pédagogiques de la ferme, les portes ouvertes, etc.
Une véritable poupée russe à emboiter et désemboiter chaque semaine, tous et toutes ensemble au gré de leurs cultures, volontés et saisonnalités.
L’idée ici, étant de ne pas perdre l’héritage de fermes dites moyennes – on parle souvent de fermes moyennes en dessous des 180 hectares – qui peuplaient l’ensemble de notre territoire jusqu’à ces dernières années. La tendance est bien sûr aujourd’hui à la baisse avec les départs massifs à la retraites et la désaffection agricole, et à la recapitalisation de certaines d’entre elles ou le redimensionnement des activités. On voit par exemple sortir de terre des consortiums fermiers de plus de 1000 hectares, notamment en Bretagne, passant sous les radars de l’organisme foncier agricole régulateur, la SAFER.
Ici, le sujet est plus délicat, les terres étant « protégées » par la charte Natura 2000. Ce qui n’empêche pas les jalousies.
Thomas Rabu,le plus anciennement installé en tant que paysan-boulanger, n’est guère étonné de cette tendance, devenue lourde: « Les règlements, les mentalités et la politique agricole commune encouragent les agrandissements, pas les projets d’installation ». Il a par exemple dû se contenter, au départ, d’une peupleraie dont personne ne voulait pour
lancer son élevage d’une cinquantaine de brebis. Éleveur, il voulait aussi devenir boulanger. Mais pendant deux ans, c’est à 65 km de Varades qu’il a du cultiver son blé.
Le western moderne existe donc ici aussi
Une nuit, un agriculteur voisin s’est invité sur leurs terres.
Eleveur de vaches laitières qui possède à lui seul déjà 120 hectares et produit 380 000 litres de lait par an, il lorgne depuis longtemps sur l’héritage de la Ferme de l’Audace et ne dépareille pas de ses voisins éleveurs de l’ancienne école, étouffés par les prêts bancaires, l’élevage intensif et les subventions européennes dont ils dépendent. Persuadé qu’il hériterait des hectares des frères Ploquin à l’Audace, il ne manque pas une occasion de dire que le projet dévolu aux jeunes paysans est une honte et qu’ils ne le méritent pas. Il pratique l’entrisme forcé, un jeu bien connu chez les agriculteurs.
Kesaco? Vos terres sont en friche? Un exploitant vous propose d’entretenir la parcelle, en labourant régulièrement, mais sans vous le dire, il sème et du même coup épand ses herbicides au passage. Une fois les semis pris, difficile de revenir en arrière, autorisation d’exploiter ou non, et l’amende qui en incombe reste dérisoire par rapport à la récolte obtenue. CQFD.
Mieux, l’agriculteur en question se présentera auprès du propriétaire en sauveur pour mieux se positionner en tant qu’acheteur et souffler la priorité à ceux autorisés à exploiter légalement. Cette nuit là, il ne s’est ni privé de labourer 13 hectares au coeur des parcelles de l’Audace sans autorisation, ni d’y répandre du glyphosate avant de semer.
Ainsi, il faut se battre chaque jour pour faire exister le modèle, et le cercle vertueux. « C’est aujourd’hui par exemple, très compliqué de faire exister le marché chaque semaine alors que nous sommes en zone Natura 2000, parce que les voisins les moins bienveillants souhaitent que nous n’existions plus du tout, au prétexte de conditions d’accueil rustiques» confie Magali Delaunay devenue paysanne pastière il y a 4 ans après avoir beaucoup voyagé. Elle vend principalement ses productions sur les marchés ou dans les AMAP, mais anime aussi le marché de façon hebdomadaire, et sa vie n’a désormais plus rien à voir avec celle qu’elle menait tambour battant dans les stations de ski ou les villes touristiques. Elsa Daniel,la plus jeune à 22 ans, dépend fortement de l’existence de ce marché. Eleveuse de vaches laitières de race mixte, la jeune femme fabrique beurre et fromages. Sans passif agricole, elle qui était destinée à devenir géographe, a basculé dans le monde paysan avec la proposition que Rachel Carroget,elle aussi devenue éleveuse de brebis et productrice de fromages après avoir été bibliothécaire, lui a fait de rejoindre la Ferme de l’Audace. Le dernier arrivé est Laurent Gaillard, un baroudeur de 55 ans, vétérinaire de profession, passé chez Vétérinaires sans Frontières pendant 15 ans. Il est tombé sur le projet de la ferme de l’Audace par des copains naturalistes et leur a proposé son projet d’élevage de vaches allaitantes de race bouchère rustique pour la
production de viande de veau et bœuf aussi. Toutes celles et ceux là sont liés intrinsèquement à la vente de leurs produits, à cet endroit, ou à quelques kilomètres, afin de rester dans les valeurs originelles du projet et pérenniser la ferme.
Et toutes et tous sont liés à la communauté qu’ils animent, les sociétaires qui les soutiennent, la mairie avec qui il faut conjuguer, ou interpeller selon les aléas. Faire donc sa place ici, comme ailleurs, prend du temps, de l’énergie, beaucoup: « Rien n’est jamais acquis, tempère Arnaud, même si la ferme au bout de 4 ans, existe, vit et plutôt bien pour tous. Le Covid nous a plutôt profité ici pouraccroitre notre réseau et c’est bien, mais je me rends compte qu’au delà de vivre différemment, de choisir de vivre avec moins, d’être dans une communauté de valeurs, le temps me manque, nous manque pour faire valoir plus encore la ferme. Un jour peut-être…. »
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