Julie Reux est journaliste spécialisée vin et vignoble de Loire et consacre la plupart de ses papiers à dénicher tendances viniques et agronomiques dans les vignobles. Depuis un an maintenant, à force de scruter le climat et ses dégâts dans les vignes, elle observe avec force experts, confrères et consœurs, les lignes que tracent les nouveaux vignerons, et les expérimentations qu’ils dessinent pour leur futur au cœur d’une revue qu’elle a créée, Vinofutur.
A l’aube de la sortie de sa troisième édition, elle partage avec nous sa vision d’une vigne en proie au dérèglement climatique.
LR: Quelle est l’origine de la création de cette revue, Vinofutur?
« A force d’entendre et de voir les vignerons de toute taille se confronter au gel chaque année, à la sécheresse maintenant, au stress hydrique, aux maladies les plus diverses et l’apparition chaque jour plus insolite de phénomènes inédits, des vinifications qui ne se finissent jamais, ou trop vite, des quantités absurdes ou totalement aberrantes, il fallait parvenir à prendre du recul sur ce vignoble français et la bascule climatique que nous vivons. Alors, il fallait reposer les questions mais autrement, se tourner vers le futur, imaginer ce que le vignoble de 2072 sera avec ou sans nous. »
LR: Où en est alors ce vignoble français? Le vin fait-il encore rêver?
« La force d’un vignoble, c’est la plus-value que l’on en fait, et ce qui fait que l’on peut résister à la pression foncière, c’est l’histoire que l’on crée autour. C’est l’objet du vin, qui est un vecteur sociétal, émotionnel et patrimonial. Le vin a ce pouvoir-là. Honnêtement, c’est souvent sur ces aspects que le vin prend ses plus-values financières.
En Alsace, la vigne vaut 150 000 euros/ha et si on pensait 5 minutes arracher de la vigne pour y mettre un lotissement, on nous mettrait ta tête en haut d’une fourche! Mais à Bordeaux, ils pensent encore que c’est la faute des autres s’ils ne vendent pas et non qu’ils ont trop planté. Ils ne se disent pas non plus qu’ils ont vendu trop cher … »
LR: La question du foncier est éminente…mais pas que
« Oui! Qui seront les propriétaires des vignes de demain, ça c’est un enjeu majeur tout comme la possible disparition du paysan au profit de sa transformation en salarié pour des groupes spécialisés en viticulture. La question générationnelle du renouvellement des vignerons se pose donc mais aussi celle des modèles choisis. On sait aujourd’hui qu’un modèle qui fonctionne sur le pétrole et les pesticides est en fin de vie parce les consommateurs le dénoncent de plus en plus (le pétrole, c’est peut-être pas pour tout de suite !). Alors il faut tout réinventer. »
LR: Que nous disent donc ces vignerons aujourd’hui?
« Beaucoup de vignerons se projettent déjà très loin, tandis que la plupart sont encore en 1982 avec des recettes de chimie de synthèse pour toutes leurs plaies. Pour un qui se demande s’il ne va pas faire de l’agroforesterie, planter du blé ou des tomates dans ses vignes, il y en a des centaines qui se posent encore des questions sur leur passage en bio. Et ceux-là sont plus nombreux à réaliser les vins aujourd’hui mais aussi pour demain. Disons que le contexte économique prime. Fin du mois, fin du monde! »
LR: La vigne est donc bien un baromètre de notre dérèglement climatique?
« La vigne est une plante pérenne donc la planter est un geste vigneron majeur pour son futur. Il le fait pour la génération d’après et le vin a une mémoire. Preuve en est, on peut observer le changement climatique en goutant le vin. C’est un de seuls produits agricoles dont on sent le climat, et son effet millésime. »
LR: Pensez-vous que l’avenir du vin doit être propre? Naturel?
« Le vin naturel est un contre modèle, et il n’a aucune raison de s’imposer à tous comme une prise de conscience progressive. Cela existe, c’est une alternative intégrée et c’est déjà beaucoup. On peut imaginer que plus tard il y aura deux modèles: le coté nature, proche du vivant avec la panoplie agro-écologique, et les projets plus technicistes, avec un travail sur la génétique viticole améliorée. Les questions du goût et de l’environnement seront et sont déjà remises en jeu par les vignerons et par les consommateurs eux-mêmes, qui ne placent plus les priorités au même endroit, entre planète préservée ou terroir valorisé. »
LR : Cela présage de beaux débats à venir…
« Les cépages hybrides versus la « vitis vinifera » ? Relancer les cépages autochtones? On n’a pas de certitude que cela suffise pour sauver le vignoble et ses déboires.
Mais on est sûr que nous n’avons pas fini d’en débattre et de regarder toutes les initiatives grandir et produire dans le temps, voir ce que le vignoble breton produit par exemple, ce que je suis avec beaucoup d’attention, puisque nous allons commencer à en voir les premiers résultats. Mais ce n’est pas la seule piste, loin de là. »
Pour commander : www.vinofutur.fr
Sortie du n°3 fin novembre 2023. 7€. Fil rouge : qui seront les vignerons du futur?
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