En franchissant la barre des 3 millions de litres produits, le vignoble belge sort désormais de son trou de souris à la faveur incongrue du réchauffement climatique. Bien sûr, il ne s’agit que du 1% de la consommation globale de vin, mais on ne peut plus déconsidérer ce vignoble aujourd’hui. Avec le concours cependant de choix éclectiques, comme celui de cultiver des cépages dits résistants.
Le vignoble belge opère aujourd’hui un singulier retour de l’histoire, puisque dès la fin du Moyen-Âge, on comptait des vignobles partout sur le territoire, notamment dans la principauté épiscopale de Liège. Le développement progressif de la viticulture, dans la vallée de la Meuse notamment, amène la production à 1,4 million de bouteilles par an au XVe siècle. Avant un déclin progressif, lié au départ à la mini-période glaciaire qui a sévi entre 1450 et 1600, et à la volonté napoléonienne ensuite de ne faire du vin de messe qu’en France!
Mais c’est après un lent redémarrage amorcé dans les années 50, essentiellement sous serre, qu’à l’aube des années 2000, la viticulture belge se professionnalise et reprend son envol.
Désormais, la Belgique répertorie 259 vignerons, contre 237 en 2021 et 198 en 2020, 157 de Flandre contre 102 pour la Wallonie. Mais l’évolution future penche clairement en faveur du sud du pays, la Wallonie ayant plus de terres disponibles, et des terroirs plus diversifiés de grès, schiste, et calcaire. Et surtout, pour des choix agricoles de plus en plus propres écologiquement. Aux dépens parfois de sa richesse de cépages historiques.
Le redémarrage du vignoble passe par des choix décisifs
Guerric Silverberg, fondateur de la cave Bruxelloise Nestor, importateur et distributeur de vins à tendance majoritaire naturels, dresse le panorama du pays : « Il y a quelques vieux domaines, somme toute traditionnels depuis un certain nombre d’années, qui ont généré la création de l’AOC en 1997. Depuis, des jeunes s’installent en plantant ce qu’on appelle des piwi (acronyme du mot allemand « Pilzwiderstandsfähig », signifiant littéralement « capable de résister aux champignons »), des cépages hybrides ou résistants aux maladies de la vigne. »
En effet, suite à la crise sanitaire de la fin du XIXe siècle avec l’arrivée en Europe de l’oïdium en 1845 puis du phylloxéra et du mildiou, en 1863 et en 1875, importés d’Amérique du Nord, des moyens de lutte ont été mis en place. Afin d’éviter l’anéantissement du vignoble européen, les deux solutions abordées étaient alors la lutte chimique et l’utilisation de variétés résistantes.
En France, alors que le monde viticole reste peu favorable à la création variétale et relativement réfractaire aux hybrides, on initie un programme de création d’hybrides interspécifiques en 1974 à Bordeaux. On ne parle pas ici, bien sûr, d’OGM mais bien de croisements entre variétés européennes, américaines voire asiatiques pour produire ces cépages dits interspécifiques.
La Belgique fait le choix de la sûreté
En Belgique, l’aubaine de ces cépages épargne les néo-vignerons d’un engagement économique trop lourd selon Guerric Silverberg: « La parcelle agricole en Belgique coute en moyenne 25000 euros, l’encépagement coute beaucoup plus cher qu’en France, ce qui porte le coût d’une vigne à 50 000 euros l’hectare, ce qui est trop cher sans même avoir vendu le vin, ni même récolté. »
Un vigneron pionnier en bio et sans chimie
L’un des premiers à tenter l’aventure de ces cépages interspécifiques est Servaas Blockeel.
Fort de son constat « que depuis 2015, on a perdu en moyenne 200 mm de pluie par an », Servaas Blockeel décide de planter en 2012 les deux premières parcelles de son vignoble Lijsternest ( « Le Domaine des nids des Grives » ) près de Courtrai en Flandre , puis deux autres, uniquement avec des variétés résistantes qu’il cultive en complantation et en biodynamie, sur environ 4 ha.
L’idée est de planter différents cépages sur une même parcelle, du rouge et du blanc mélangés, qu’il vinifie en parcellaire. Les cépages rouges et blancs sont ainsi plantés un rang sur deux, de Muscat Bleu, Rondo, Cabaret Noir pour les cépages rouges, et du Solaris, Bronner pour les cépages blancs.
Pour Servaas, « s’il y a maladie, ça se propage moins, puisque les différentes variétés ont leur propre résistance, et peuvent renforcer les systèmes immunitaires des autres ainsi ».
A l’inverse aussi de toutes les autres pratiques agricoles traditionnelles, il décide de ne pas travailler ses sols et de ne s’appuyer que sur la force de ces cépages hybrides en ne les traitant jamais contre le mildiou ou l’oidium. Un pari risqué au regard du taux de pluviométrie chez lui. Mais qui semble non seulement marcher mais encore plus, faire des adeptes puisque ses vins sans intrant, ni soufre s’arrachent et certains amateurs lui vouent un véritable culte.
Et les vignerons suivent le modèle
Depuis, ses choix font tâche d’huile auprès des vignerons du territoire belge, comme Le Domaine « Les Pieds dans la Dyle » lancé en 2017. A sa tête, Pablo Cremers, fabricant de bougies et de cierges depuis 5 générations et également vigneron. « Le projet a évolué sur ces dernières années, explique-t-il. Les parcelles se gèrent différemment. La plus grande, rue Procession aux Reliques donne la cuvée Coop(ains) qui assemble les raisins de la parcelle et ceux des membres. » Pour la première plantation, le choix des variétés s’est évidemment porté sur des variétés résistantes, Divico, Pinotin, Souvignier gris et Muscaris notamment, afin de traiter le moins possible.
Plus bas, Peter Vandamme s’est lancé lui en pur amateur en 1991 à Menin avant de tout arracher et de replanter en 2009. Dans son vignoble Klein Rijselhoek d’un hectare, non traitée, ne sont plantées que des variétés résistantes donnant quatre cuvées de Regent, Solaris, Souvignier gris et Cabernet Cortis, et tout cela sans la moindre dose de chimie. Et ainsi de suite, les initiatives « propres » pullulent à chaque millésime sur le territoire belge.
Fascinant. C’est à se demander pourquoi l’ensemble du vignoble mondial ne s’est pas emparé de ces découvertes sitôt validées par le corps scientifique.
Quid de l’avenir du vignoble belge?
Des choix « rationnels » qui, pour Guerric Silverberg, se passent au détriment des terroirs belges:
« Le problème c’est qu’aucun n’a pris le temps de faire une étude ampélographique, ni même étudié les cépages qui ont existé dans l’histoire, comme par exemple le Müller-Thurgau, cépage allemand de vin blanc de type riesling qui existait en Sambre et Meuse.
Le réchauffement climatique n’induit pas plus de rendement, c’est faux. 2, 3 degrés de plus c’est autant pour toutes les plantes même les plus résistantes, et en revanche, c’est peut être redonner de nouveau une chance, en étudiant sols et météo, de faire renaitre ces anciens cépages disparus. »
Et surtout qu’en termes de goût, on ne s’y retrouve peut-être pas encore:
« A quel prix paye-t-on le fait de mettre de côté le raisin traditionnel avec ses qualités nutritives, organoleptiques et olfactives, au profit de la résistance et de la production? On ne parle pas de la même chose… Et quant à la survie de la plante plus importante, elle trouvera surement fort à faire avec ces maladies adaptables et de plus en plus agiles à contourner les défenses. »
Le débat ici ne fait que commencer.
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