Evoquer le destin des soeurs Hacquet, c’est en creux évoquer l’histoire du vignoble français et de celles et ceux qui se sont refusés vent debout à entrer dans la culture intensive après la seconde guerre mondiale.
Enseignante et autrice de « Les sœurs Hacquet et le Vin – une épopée nature », Hélène Merceron a rencontré les soeurs Hacquet en 2017 par l’entremise d’Agnès et Sebastien Dervieux, dit Babass, leurs voisins vignerons à Beaulieu-sur-Layon, renommés pour leur vin naturel en Anjou.
« On s’est adoptées, dit-elle, le temps de raconter leur histoire. Elles en étaient heureuses. » Les sœurs Hacquet, décédées à l’âge de 92 et 94 ans l’an passé, font en effet figure aujourd’hui, de symboles pour le renouveau du vin, et des modes de vies agricoles. Tout a réellement commencé quand Alfred Hacquet, le père d’Anne, Françoise, Joseph a décidé de s’installer avec sa famille en 1935 dans cette ferme à Beaulieu, en partie pour soigner ses problèmes de santé, séquelles de la Première Guerre mondiale, le laissant grandement impotent. Sa famille étant relativement aisée, ils possédaient cette maison au sud d’Angers et s’y installèrent, mais ils se retrouvèrent vite à court d’argent et décidèrent d’exploiter les quelques parcelles de la propriété.
« Le père avait des idées, mais restait conceptuel. Ce sont les enfants qui faisaient. Joseph, l’ainé a donc pris la tête du domaine en toute logique patriarcale. » Tout d’abord en cultivant des fleurs pour les marchés locaux, puis, le père étant un catholique fervent, il voulut aussi produire
du blé et entretenir des vignes pour faire du vin dans la perspective de faire du vin de messe. Ils ont donc planté des cultures potagères, avec la volonté de devenir le plus autonome possible, eu des animaux de ferme, poules et vaches et ont ensuite obtenu des surfaces de vignes supplémentaires. Tout, le plus naturellement possible. « Les sœurs disaient : « On prend la nature comme elle est, on rend la nature comme elle est. » Il y avait quelque chose d’assez christique dans leur démarche et puis si c’était dur, tant pis. »
Très vite, la famille s’est faite ostracisée malgré le fait qu’ils s’étaient engagés auprès des Jeunesses Agricoles Catholiques après la Seconde Guerre mondiale. Tandis que la majeure partie des producteurs et les agriculteurs traditionnels évoluaient vers le productivisme, les engrais et l’attirail chimique encouragés par les autorités agricoles françaises, eux restaient butés à produire sans chimie, sans intrant et sans soufre leur Chenin, cépage majoritaire de leurs 6 hectares. Du vin sans soufre dès 1946/47.
Avant tout, ce choix était économique. Ils n’avaient pas le sou, donc ils se contenteraient de ce que la terre-mère pourrait leur offrir. A cet égard, ils étaient considérés comme des ovnis, et les négociants ou acheteurs professionnels snobaient leurs vins, dont les Hacquet savaient pourtant qu’ils étaient délicieux.
« Pour elles, le monde tournait à l’envers, l’homme était comme cela, elles n’avaient pas d’illusions, elles avaient des vies saines, elles étaient heureuses, même si leur vie était dure. Elles portaient en elles une vraie philosophie de vie dont nous sommes toutes et tous très éloignés. De non consommation, de non besoin, d’être en contact avec la nature, d’être ensemble aussi. »
Sans pouvoir de riposte à l’opinion publique majoritaire, la conviction des frères et sœurs Hacquet s’affirma, dans un monde bien loin des écoutes à l’agriculture biologique. Les visites au chai se succédaient pourtant sans encombre avec le réseau local et les familles, qui les unes après les autres vantaient le « sans soufre » comme d’un bienfait sanitaire et leur achetaient toute leur production. Avec le réseau grandissant des groupes bio et naturalistes en France dans les années 1970, les Hacquet ont fait publier une annonce dans le magazine Nature et Progrès et ils se sont ainsi connectés à ce nouveau réseau de vente.
« Ce n’était pas un choix parce qu’on avait pas d’argent, disaient-elles mais ensuite, ça l’est devenu, et puis nos produits étaient de toute façon plus beaux, nos terres ne s’appauvrissaient pas, puis, c’est devenu un choix et une revendication par la suite. »
La famille paya le prix fort de cet engagement. Ils furent bannis de l’AOC Anjou mais aussi de celle des Coteaux du Layon. Elles n’étaient pas très aimées il faut le dire, parce qu’elles n’avaient pas leur langue dans leur poche : « Autour d’elles, il y avait beaucoup de vignerons, elles se sont mis tout le monde à dos, mais elles tiraient une grand fierté de ne pas plaire plutôt que de plaire. »
Et surtout parce qu’elles avaient très bien compris les mécanismes des tricheries de la Loire, avec les produits à tête de mort qui passaient devant chez elles pour traiter les vignes, et le taux de cancers des saisonniers qui travaillaient dans les vignes qui explosaient dans la région, vers les années 80/85. La reconnaissance apparut dans les années 80 parce qu’elles cherchaient à améliorer ce vin vivant qu’elles trouvaient fragile à conserver dans le temps.
Joseph amena donc leurs vins en laboratoire, et leur réputation s’élargit dans les cercles de dégustation. « Leur clientèle devint fidèle et riche parce qu’elles avaient la réputation de faire un vin qui ne donnait pas mal a la tête ce qui à l’époque était révolutionnaire en pleine expansion de la chimie qui sensibilisait surtout les vins blancs. »
Dès lors, les visites internationales, les dégustateurs du monde entier tentèrent de venir leur rendre visite ce qui ne fut pas simple. Il fallait montrer patte blanche et passer la plupart du temps par le fameux Babass, qui s’installait en tant que vigneron à côté de leurs parcelles.
Pascaline Lepeltier, sommelière aujourd’hui mondialement reconnue – meilleure sommelière de France et 4ème au concours mondial de la sommellerie -, eut l’occasion de gouter et rencontrer les soeurs Hacquet. Voici ce qu’elle en dit : « cette bouteille a été ouverte avec Anne et Françoise Haquet, Babass, et mon petit frère, qui découvrait le vin. On avait choisi ce 1987 car c’est son année de naissance. Un vin époustouflant, tendu, frais, cristallin, d’eau de roche. J’avais déjà goûté Hacquet lors de mes toutes premières vendanges, en 2005, au Domaine des Griottes. Nous vendangions dans la parcelle de Chenin confiée par les deux sœurs à Pat Desplats et Babass. Pat ouvrit une bouteille. Je ne savais rien à l’époque, mais le vin est resté gravé dans ma mémoire. Je crois que c’était 59, mais je n’en suis pas sûre. Goûter à nouveau ce vin plus de dix ans après, avec Anne et Françoise nous racontant leur histoire, fut une expérience d’évidence de vie et de vin, de simplicité. »
En 2004, Joseph partit.
Aussitôt, les deux soeurs ont arraché toutes leurs vignes centenaires et transmis les vignes restantes aux deux fameux vignerons voisins. « Certainement, parce qu’elles ne voulaient pas que ça sorte du nom Hacquet et qu’on profite d’elles. Dans leur modestie, elles avaient un grand sentiment de supériorité. »
Reportage France Télévision: Reportage France Télévision en 2013
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