Désormais, plus personne ne peut ignorer les tracas que traverse le vignoble français, au point de se demander si le modèle agriculturel instauré après-guerre par l’INAO ( Institut national de l’origine et de la qualité), les AOC ( Appellation d’origine contrôlée), et la fascination d’Edgard Pisani, – ministre de l’Agriculture dans les années 60 – pour les rendements agricoles, n’ont tout simplement pas faussé le rapport de l’homme à sa culture.
Jérémie Cebron, conseiller oenologue pour les vinifications pour la Coordination d’Agriculture Biologique. Photo Élodie Louchez.
Aujourd’hui, entre mildiou, sécheresse, gel, et aberrations environnementales, le vignoble français souffre tout entier et chaque année de tous ces maux à la fois. L’impasse semble proche pour les Bordelais, qui arrachent fatalistes, 9500 hectares de vignes cette année, l’Alsace compte les degrés d’alcool supplémentaires chaque année dans ses Gewurztramminer, et le taux de mortalité chaque année de la vigne, même dans le Sud, tourne autour de 10%, ce qui est tout simplement faramineux. Pour la viticulture française, la perte est estimée à 1 milliard d’euros par an. Un Plan national dépérissement du vignoble a même été lancé il y a deux ans pour comprendre et lutter contre le phénomène. Seulement voilà, les vignerons eux, ne veulent pas en rester là, et certains ont repris leur destin en main à la faveur du collectif.
Face au constat, les vignerons ne désarment pas
Ainsi, depuis déjà 2015, la Coordination d’Agriculture Biologique Pays de la Loire – association qui fédère les cinq groupements départementaux de producteurs bio des pays de Loire et adhère à la FNAB (La Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) – a mené un programme de recherche nommé « Homéo-Iso-Viti Bio ». Son objectif était de réduire l’utilisation de cuivre et d’insecticides en passant de « la lutte contre » à « l’accompagnement de la vigne par des soins en vue de maintenir ou de recréer un équilibre de vitalité ». Initiées par Nathalie Dallemagne, conseillère technique viti-oeno pour la CAB, des expérimentations ont ainsi été mises en place chez cinq vignerons biodynamistes.
« Cette virulence des ravageurs de la vigne est là pour nous montrer que les solutions utilisées ne fonctionnent fondamentalement pas, nous dit-elle. Elles ont un peu fonctionné pendant quelques décennies, mais il y a d’autres fléaux qui montrent la même chose : les tonnes d’insecticides, même bio, épandus contre la cicadelle de la flavescence dorée (ndlr: la flavescence dorée est une maladie grave, classée parmi les jaunisses de la vigne et détectée depuis les années 1950 en France et l’une des maladies les plus dommageables du vignoble européen) ne l’empêche pas de se
répandre. La maladie se répand peut-être moins vite, mais elle se répand. Les effets secondaires des insecticides font apparaitre ou réapparaitre d’autres insectes comme les acariens rouges puisque leurs prédateurs ont été détruits par l’insecticide. Et arrive un nouveau, le scarabée japonais. C’est interminable, indébrouillable, et c’est pour moi le signe d’une impasse. »
Kady Sonko, Jérémie Cebron, conseillers viti-oeno pour la Coordination d’Agriculture Biologique. Photo Élodie Louchez.
Des nouveaux outils pour valoriser l’observation dans les vignes
Cependant, 10 ans de recherche sur le sujet crucial de protéger la vigne du mildiou comme de tout autre ravageur, champignons, insectes, l’ont amené à confirmer que la seule vraie solution est de s’occuper de la bonne santé et de la vitalité de la vigne. Ainsi Nathalie Dallemagne, en cherchant des outils de mesure pour pouvoir échanger entre les scientifiques et les intéresser au sujet, s’est rendue compte que les mesures ne rendaient pas suffisamment compte de la notion de vivant, ni de mieux comprendre cette vitalité de la vigne. La « bio-électronique de Vincent » est un de ces outils et son application en viticulture constitue une approche innovante et totalement nouvelle pour le vignoble français. Seule une autre initiative de la même ampleur existe en Alsace, mais elle est privée.
Elle ouvre une piste alternative à la compréhension physiologique de la vigne mais mieux, de la plante en général. Le concept directeur peut s’illustrer par : « ce qui fait vivre, c’est un peu de courant électrique entretenu par le soleil ». Tout processus biologique, tout milieu biologique peut alors être vu comme un système électrique. La « bio-électronique de Vincent » mesure donc trois paramètres, le pH et le potentiel d’oxydo-réduction et le troisième, la conductivité électrique.
Ses fondateurs – Louis-Claude Vincent et Jeanne Rousseau – ont ainsi mesuré à partir de 1961- ces trois paramètres électro-chimiques sur d’innombrables substrats (nourriture, eau, vin…tout ce qui est fait de matière organique) afin de déterminer un état électrochimique donné pour être comparé avec un état de santé idéale.
La Coordination d’Agriculture Biologique des Pays de Loire en recherche perpétuelle
La Coordination Agrobiologique des Pays de la Loire a donc mis en place depuis 2018, ce Laboratoire « Vitalité » avec une douzaine de domaines viticoles, pour adopter une démarche plus holistique et observer comment la vigne interagit avec son environnement. « Cette approche est défendue par Olivier Husson, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), nous indique Kady Sonko, conseillère viticulture pour la CAB, en charge de ce projet aujourd’hui. Un ravageur comme le Mildiou n’attaque pas un pied de vigne par hasard. C’est parce que ce dernier se trouve – à un instant donné – dans un état électrochimique précis, par exemple pour une perturbation de son état physiologique, qu’il subit une attaque par le Mildiou. L’état électrochimique de la vigne décrit sa vitalité. »
Cela invite alors les vignerons à reconcevoir toute leur logique de traitement en passant de « lutter contre » à « protéger de ». Et trouver de meilleurs repères en s’appuyant plus encore sur leur observation. « Les vignerons ont éventuellement besoin d’avoir conscience que leur ressenti est hyper précis, hyper complet, tout en ayant accès aux détails si besoin, précise Jérémie Cébron, conseiller oenologue à la CAB, et qui intervient surtout sur les parties vinifications. Certains ont besoin de prendre confiance en leurs sens, d’apprendre à mettre en mot les infos reçues et de les utiliser dans leurs réflexions pour les prises de décisions. Et c’est le plus important. Nous leur donnons ces infos, mais c’est eux qui tranchent. »
Nathalie Dallemagne le rappelle : « Le plus gros “ravageur » de la vigne et de l’agriculture en général, c’est avant tout le manque de temps pour descendre du tracteur et aller marcher dans ses vignes, et perdre confiance en ses sens et ses observations pour se laisser diriger par les logiciels de mesure. » Et de citer Albert Camus dans « La peste » : « Ce qui est naturel, c’est le microbe. Le reste, la santé, l’intégrité, la pureté, si vous voulez, c’est un effet de la volonté et d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter ».
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