Faut-il renoncer à consommer de la viande ?

par | 5 Déc 2023

Dinde rotie, chapon, gigot d’agneau, magret de canard, sauté de veau, les repas de Noël sont souvent composés de bonnes viandes. Et pourtant. Au-delà des passes d’armes médiatiques entre Fabien Roussel et Sandrine Rousseau sur la virilité de l’entrecôte cuite au barbecue, de nombreuses organisations internationales, comme la britannique CIWF (Compassion in World Farming) mènent campagne  pour inciter les consommateurs à réduire leur consommation de viande et ce pour deux motifs : réduire l’impact environnemental de l’élevage (gaz à effet de serre produits par les bovins, pollution des eaux par les élevages de porcs) et lutter pour le bien-être animal. Mais à y regarder de plus près, on peut se demander si nos faiseurs d’opinion ne font pas un raccourci simpliste entre élevage, souffrance animale, réchauffement climatique et consommation de viande. La sociologue et chercheuse à l’INRAE Jocelyne Porcher nous l’explique bien : il ne faut pas confondre élevage et production industrielle de matière animale (voir son interview ici). Car cest bien d’élevage intensif et de fermes-usines (classées pour la protection de l’environnement -ICPE- et soumises à autorisation) dont il est question quand des associations comme Greenpeace ou L214 dénoncent la pollution et la maltraitance animale.

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En effet, quand on apprend que 60% des animaux sont concentrés dans 3% des fermes d’élevage en France, que notre pays compte 3010 fermes usines dont près de la moitié en Bretagne et 19% en Pays de la Loire, on peut culpabiliser devant sa côte de porc ou sa cuisse de poulet. S’ajoutent à cela les aberrations du système productiviste fondé sur la sélection génétique qui font que les individus mâles issus de certaines filières sont sacrifiés faute de valorisation économiques (cas des « frères de poules pondeuses ») ou bradés (chevreaux de races laitières). Mais à côté des entreprises de « production de matière animale » il y a plus de 140000 élevages, toutes espèces confondues (source Chambres d’agriculture 2023) qui échappent à la catégorie de fermes-usines. Ceux qui, en particulier, se revendiquent de l’élevage paysan, pratiquent la polyculture, le plein air, le pâturage, voire le pastoralisme et sont répartis sur tout le territoire dans des fermes familiales de taille moyenne. Dans ces conditions, on peine à trouver la source de pollution et la souffrance animale. Les ruminants digèrent la cellulose de l’herbe, ce dont l’homme est incapable, les prairies permanentes favorisent les insectes pollinisateurs et la rétention de l’eau, la paille des céréales sert de litière et revient au sol sous forme de fumier. Et c’est bien ce mode d’élevage-là qui est représenté sur les boîtes à œufs, les bouteilles de lait, les publicités et fait le bonheur des familles qui visitent le salon de l’agriculture à Paris. En aval, la consommation de viande interpelle notre relation symbolique à la mort animale et donc à l’activité des abattoirs. Or, celle-ci est très culturelle et plus elle est lointaine, plus elle est rendue affective par l’image des

animaux domestiques et des dessins animés de Walt Disney.Le fils d’un ami qui a longtemps élevé et tué des lapins chez lui, disait très simplement, « les lapins c’est mignon quand c’est petit mais c’est bon quand c’est grand ». Mais la mort n’est pas la même quand elle est donnée dans la cour d’une ferme ou dans des conditions industrielles à des milliers voire des dizaines de milliers d’animaux par jour (jusqu’à 100000 pour les poulets). C’est pourquoi, les abattoirs municipaux des années 1960-1980 répartis sur le territoire n’avaient pas l’image négative qu’ont les usines à viande d’aujourd’hui.
C’est pourquoi aussi le concept d’abattoir de proximité revient en force, porté le plus souvent par des collectifs d’éleveurs, de même que les ateliers mobiles de tuerie à la ferme. Et puis, on peut s’interroger quand, invité à déjeuner chez des amis végétariens ou vegan, ceux-ci nous proposent du steak végétal c’est-à-dire de la fausse viande. Pourquoi vouloir imiter la viande avec des produits qui n’en sont pas? La réponse vient d’outre Atlantique et des startups de biotechnologies qui mettent au point dans leurs laboratoires des techniques industrielles de culture de cellules de viande. Une façon de créer une nature virtuelle débarrassée des contraintes de la nature réelle et sans en maîtriser les effets à terme sur la santé des humains.
Vu sous cet angle, l’élevage paysan (ou élevage tout court pour Jocelyne Porcher) parait bien plus proche de la culture rurale et de l’idée qu’on s’en fait et manger de la viande, sans doute moins mais de meilleure qualité, est un acte à la fois nutritionnel et festif tout à fait défendable. Partout sur le territoire, des paysans, des petites entreprises d’abattage, des artisans bouchers et des restaurateurs nous le prouvent. Alors à l’approche du réveillon, c’est vers eux que nous avons eu envie de nous tourner.

Nicolas Chomel,
Président de Graines d’avenir et directeur de publication

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