Extension du domaine du capital

par | 21 Déc 2023

Jean-Claude Michéa est un philosophe français, de culture marxiste, mais dont la critique des illusions progressistes le placent aussi sous le signe de George Orwell (1984, La ferme des animaux) et de Marcel Mauss (Essai sur le don).
En 2016, il s’installe dans un village des Landes où il découvre la réalité de la « France périphérique » et le fossé à la fois économique et culturel qui la sépare de celle des métropoles. Cette situation de néo-rural aux prises avec les forces de la nature, notamment dans son potager, lui a inspiré cet essai stimulant sur le « fait social total » (concept de Mauss) qu’est le capitalisme, à la fois aux plans économique, politique et culturel. Il nous invite à reconsidérer l’idée qu’on peut se faire du lcapitalisme comme étant un « système fondamentalement conservateur » alors qu’il est au contraire en perpétuel mouvement, poussé par la logique d’accumulation sans fin du capital et donc d’innovation technologique et de croissance. Ce système est donc conduit à noyer « dans les eaux glacées du calcul égoïste » (l’expression est de Marx), toutes les dimensions de l’existence humaine, y compris les plus intimes.

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Et pour le philosophe, le libéralisme culturel anticipe le néo-libéralisme économique et politique. Or, Michéa souligne que ce libéralisme culturel prend sa source dans les villes et en particulier dans les métropoles, façonné par les «nouvelles classes moyennes urbaines » qui pratiquent la « mobilité douce » en trottinette électrique et que l’auteur qualifie, non sans humour de « bourgeoisie verte ». Cette classe sociale représente entre 20 et 30 % de la population et son rôle est déterminant pour la pérennité du système capitaliste et sur ce constat Michéa s’oppose à l’idée selon laquelle le conflit social se limiterait à opposer le 1 % des plus riches aux 99 % du reste de la population. Et cette « bourgeoisie libérale », représente l’essentiel de l’électorat de ce que Michéa qualifie de « gauche post Mitterrandienne », soit de LREM à EELV. Cette lecture est très éclairante pour comprendre que le traditionnel clivage droite/gauche est désormais déplacé entre « modernes » et « conservateurs » et, géographiquement, entre France métropolitaine et France périphérique.

Or, les « nouvelles classes moyennes urbaines » voient avec mépris cette France rurale, ses traditions et entretient un rapport à la fois distant et fantasmé avec la nature. C’est ce que qu’incarnent jusqu’à la caricature les députés Sandrine Rousseau (et sa phobie du barbecue) et Aymeric Caron (pour qui les moustiques ont le droit de vivre tout comme les humains).
Dans ce contexte et en accord avec le géographe Guillaume Faburel (parrain des Champs d’Ici), Jean-Claude Michéa invite à vider les grandes villes et à réempaysanner les campagnes (expression de Faburel). Toutefois il doute que 

ces « bourgeois libéraux » qui ont pratiqué le retour à la campagne par le télétravail durant l’épisode Covid, abandonnent leurs préjugés contre les traditions rurales (comme la chasse ou les courses de vachettes landaises) et se comportent en « colonialistes verts ». Une lecture très inspirante pour renverser les fiertés au profit des ruralités comme le souligne notre parrain.

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