Un agrivoltaïsme vertueux est-il possible ?

par | 5 Jan 2024

A la Bazouge-de-Chémeré dans la Mayenne, le plus important projet agrivoltaïque du département doit voir le jour fin 2025 sur 43 hectares de terrain actuellement dédiés à l’élevage ovin. Et qui devraient continuer à l’être. C’est en tout ce à quoi se sont engagés les propriétaires de l’exploitation et le producteur d’énergie.

Alors que l’agrivoltaïsme fait plus que jamais débat dans le monde agricole et que des exemples récents ont montré la difficulté  pour ne pas dire l’échec comme à Bourgneuf-en-Mauges (49) de la cohabitation entre activité agricole et production d’énergie solaire, l’idée d’installer une centrale photovoltaïque sur une partie de leur terres s’est pourtant imposée comme une évidence à Emmanuelle et Jacques Guiho, les propriétaires de la ferme de Brisanne sur le territoire de la commune mayennaise de Bazouge-en Chémeré.

Ferme Brisanne

Agrivoltaïsme : un autre modèle agricole ?

 « Depuis qu’on a acheté la ferme en 2006, nous avons en effet la volonté de démontrer la multifonctionnalité de l’agriculture. Cette multifonctionnalité, dont l’agrivoltaïsme est un aspect comme un autre, nous permet par ailleurs de pérenniser notre exploitation agricole en diversifiant nos revenus et en nous mettant en partie à l’abri des aléas économiques et climatiques » tient d’ailleurs à préciser Jacques Guiho en préambule. A l’origine de la création de la ferme, une filière laine avec des moutons Shetlands et des chèvres angora à l’initiative d’Emmanuelle Guiho, ainsi que l’accueil de camping-cars, et aujourd’hui l’élevage ovin qui 

reste le cœur de l’activité de l’exploitation agricole du couple avec 600 brebis à viande. Quant à l’idée de produire de l’énergie solaire photovoltaïque à la ferme de Brisanne, elle s’est affinée en 2020 lorsque la Fédération Nationale Ovine a publié la charte pour le développement de projets agri-solaires ovins vertueux. Avant de lancer son projet, Jacques Guiho a voulu en effet s’assurer d’un certain nombre de choses. En particulier de son empreinte carbone, de ses éventuels impacts sur l’activité d’élevage, la production fourragère ou sur la transmission de l’exploitation que la fédération lui garantit de reprendre en cas de maladie, ou de décès.

Rapport bénéfices-risques 

 Autant de sujets sensibles, auxquels Jacques Guiho a semble-t-il trouvé et calculé des réponses rassurantes pour son exploitation: « La construction, le transport, l’installation et la mise en activité d’une surface d’un peu plus de 14 hectares de panneaux (2285 tables fixes supportant 59500 modules) sur un espace de 43 hectares comme cela est prévu chez nous, a en effet été estimé à seulement trois ans de production de la centrale.
Ce qui laisse 27 ans d’énergie réellement verte puisque le bail avec le développeur serait de 30 ans. Un autre point très important pour nous était que les panneaux s’adaptent à l’élevage ovin et non l’inverse. Avec un espacement de 4,2m entre chaque rang, les moutons, qui passent chez nous 10 mois sur 12 en pâturage, pourront se déplacer tout à fait normalement.
En tout cas comme ils le font aujourd’hui.

Pour ce qui est de la production fourragère actuellement auto-suffisante pour notre troupeau, non seulement elle ne devrait pas diminuer mais au contraire, les panneaux permettraient selon des études de Neoen et de la FNO un étalement de la pousse d’herbe dans le temps. Un sujet très sensible sur notre exploitation où avec nos 10 à 20 centimètres de terre, tout se retrouve grillé dès le mois de juin ».
En ce qui concerne enfin la transmission, Jacques Guiho considère également qu’elle ne sera pas menacée. Voire même qu’elle sera favorisée, « les revenus provenant de la production d’énergie aussi bien pour le propriétaire que

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pour le locataire (le futur bail prévoit que 50% du loyer soit versé par le développeur à chacun) pousseront en effet le propriétaire à louer son foncier plutôt qu’à le vendre, tandis que le locataire trouvera plus facilement des partenaires financiers pour l’accompagner dans son installation ».

Si tout semble donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes du côté de la ferme de Brisanne, il n’empêche que l’ampleur du projet interroge.
A la charge de Neoen, le développeur partenaire de la FNO et choisi par Jacques Guiho, la somme nécessaire à sa réalisation d’un ordre de grandeur de 24 millions d’euros, ainsi que les quelque 900 000€ de coût annuel de fonctionnement peuvent en particulier faire légitimement douter de la réelle importance de la pérennité de l’activité d’élevage aux yeux de Neoen. Cotée en bourse et structurellement habituée à jouer avec le levier de la dette, l’entreprise souhaite évidemment un retour sur investissement comme l’explique un article de l’Express daté de mai dernier. A ce sujet et même si la somme engagée était inférieure de moitié, on ne peut s’empêcher de penser aux serres de Bourgneuf-en-Mauges où la production électrique continue alors que toute activité agricole a cessé depuis longtemps.
Quant au montant de la rente représentée par le fonctionnement des panneaux photovoltaïques, comprise généralement entre 1000 et 2000€ par an et par hectare, soit jusqu’à 86000€ annuels dans le cas de la ferme de Brisanne, hors prestation de service versée pour l’entretien et la surveillance des installations, elle peut pour sa part faire douter de l’intérêt pour les éleveurs de continuer leur activité initiale au regard des sommes rapportées par la production d’énergie. A noter cependant à ce sujet que Paul Appéré, chef de projet pour Neoen sur la ferme de Brisanne, dément ce montant. Jugé « trop élevé », il contreviendrait à « l’engagement de voir la production d’énergie rester un complément de revenus pour l’agriculteur ».

Quid de l’étude d’impact?

Et quid de l’impact d’une telle structure sur l’environnement ? Après l’avis favorable rendu par la CDPENAF de Mayenne, l’étude d’impact, obligatoire pour tout projet d’implantation d’une centrale photovoltaïque au sol, a en tout  cas suscité un certain nombre de recommandations de la part de Mission Régionale d’Autorité Environnementale. Au delà des recommandations autour de la faune, flore et biodiversité perturbées par la création de l’installation à court et moyen terme et qui nécessite des aménagements particuliers, empierrements favorisant la vie des espèces, les avis ont aussi été émis autour des « espacements entre les lignes modules pour faciliter l’écoulement du ruissellement sous les panneaux » par risque d’érosion des sols ou bien encore des « changements notables du cadre de vie des habitants de hameaux se situant au voisinage direct du projet du fait de « l’encerclement » par des panneaux photovoltaïques ».
Les propriétaires et le développeur ont donc été obligés de préciser et/ou modifier le projet initial en fonction des dites recommandations comme on peut le voir dans la réponse à l’avis de la MRAe. Concernant les nuisance paysagères pour les voisins, 3,5 kilomètres linéaires de haies multi-strates seront ainsi plantés pour « éviter toute co-visibilité ». Pilotée par la Chambre d’agriculture de Mayenne, cette opération sera suivie par une association locale de défense de l’environnement. C’est en tout cas  à ce jour l’engagement pris par Neoen.
L’enquête publique et les consultations organisées durant l’été n’ayant pas révélé plus d’oppositions majeures et ayant montré que « le projet contribue à pérenniser une activité agricole et offre un dispositif de nature à faciliter sa transmission, (…) apporte des retombées fiscales substantielles pour la commune », le commissaire enquêteur a émis le 20 août dernier un avis favorable au projet de demande de permis de construire de la centrale photovoltaïque, dénommée ferme agrisolaire de Brisanne. Dans la foulée, le projet de permis de construire a été accordée par la préfecture le 18 septembre et a reçu en décembre le feu vert de la Commission de Régulation de l’Energie.
Si les travaux devraient donc pouvoir démarrer dans les mois qui arrivent, les panneaux photovoltaïques ne fourniront probablement pas d’énergie avant la fin de l’année 2025.

 

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