Sur la ligne haute de l’engagement, Régis Lindeperg, graphiste de profession est devenu en quelques années, le gardien phare du massif morvandiau. A la lueur des appétits industriels qui déciment la forêt, il multiplie les pare-feux pour sauver les arbres. Tour des enjeux du massif en sa compagnie.
C’est au Carrouège à Vauclaix que tout se décide. Vauclaix, une petite commune rurale dans le parc naturel régional du massif du Morvan dans la Nièvre.
Et le Carrouège est devenu aujourd’hui l’épicentre d’une réflexion permanente et d’actions quotidiennes autour de la protection de la forêt du Morvan.
Cet écolieu d’où fourmille une boutique de produits circuits courts et une épicerie bio, un restaurant et un bar, là où se peaufinent des conférences-débats, des « cafés forêts » comme ils les appellent, mais aussi des spectacles, et du cinéma. De ce lieu, on puise les énergies de citoyens engagés pour la protection du Massif du Morvan, principalement contre l’industrialisation de la la sylviculture qui le fragilise depuis des années. Régis Lindeperg en est un des piliers, président d’Adret Morvan, l’association à l’origine
de l’achat de ce lieu. Graphiste, il partagea longtemps sa vie entre Paris et sa maison de Corbigny, non loin de là. Jusqu’au jour où. En 2012, Erscia détenue par le groupe luxembourgeois Wood & Energy SA et le belge Industrie du Bois Vielsalm & Cie (IBV) a décidé d’installer un projet de giga-scierie, incinérateur et centrale électrothermique de cogénération sur 61 hectares en lisière de la forêt, non loin de là.
Pour se donner une idée du dimensionnement du projet, avec un prévisionnel de sciage de 500 000m3 de bois de résineux par an (essentiellement du pin sylvestre, de l’épicéa et du douglas) pour alimenter la centrale de
cogénération électrique brûlant 275 000 tonnes et fabriquer 250 000 tonnes de granulés de bois, environ 900 000m3 de bois frais étaient nécessaires pour ce géant sylvicole. Les volumes annoncés correspondaient au doublement de la capacité de sciage en résineux des scieries de toute la Bourgogne. Pour Régis Lindeperg, c’en était trop. Son baptême militant venait de sonner. C’était « la scierie de trop dans le Morvan, qui plus est, couplée à un incinérateur ».
Un soulèvement spontané mais décisif.
Le projet de scierie Erscia a logiquement enclenché un mouvement de résistance autour du Carrouège. L’association Adret Morvan venait de naitre, réunissant 450 citoyens tous plus différents les uns que les autres:
« L’Adret est née de la fusion entre un groupe qui luttait contre l’enrésinement et un autre qui luttait contre la pollution. » souligne le réunificateur des tribus Régis Lindeperg.
Puis, il y eut ce coup de force de la préfète de la Nièvre, et le site du projet sera ainsi occupé durant deux ans. La ZAD du bois du Tronçay surgissait de terre. Une fois le projet annulé par la justice, Adret Morvan acquit le Carrouège pour pérenniser les rencontres humaines engagées sur la ZAD du bois du Tronçay et pour lutter contre l’industrialisation de la forêt du Morvan et le remplacement de forêts de feuillus par des monocultures de résineux. Avec un objectif de vigilance principal contre l’enrésinement, cette pratique devenue monnaie courante dans tous les massifs français. « A partir de ce moment là, réagit Régis Lindeperg, nous avons monté des structures associatives pour toutes les formes de luttes et de protection forestières, de l’acquisition du Carrouège au montage du premier groupement
forestier citoyen du Chat Sauvage, SOS forêt Bourgogne pour sauvegarder plus largement le massif, le partenariat avec le réseau national Alternatives Forets, le fonds de dotation Forêts en Vie, et aujourd’hui l’association Bois des forêts Vivantes. »
Enrésiner le massif, la volonté des industriels du bois
Le massif du Morvan comme la majeure partie des forêts en France, est privée pour 75%, du territoire et dans ce cas sur 135 000 hectares. Et pour Régis Lindeperg c’est tout le lieu de la fragilité de ce massif, devenu un enjeu majeur pour l’État français: « On essaie de freiner l’enrésinement du Morvan, mais il n’y a aucune de prise de conscience des élus. Le lobby forestier est efficace, organisé, il avance. L’industrie forestière ne fonctionne qu’avec des subventions. Les routes forestières, c’est 80 % de subvention. C’est comme dans l’agriculture, les petits n’ont rien. »
Plus complexe encore, l’imbrication des industriels sylvicoles d’avec les injonctions étatiques à planter 1 milliard d’arbres à des fins de production bois-énergie d’ici à 2030, amènent à une gestion forestière sans queue ni tête. Régis Lindeperg en conclue même qu’il s’agit « d’une vision industrialisée et court-termiste et la réplique de l’exploitation dans les Landes, étant la caricature de ce qu’il ne faut pas faire.« Le Morvan, pour lui, a ceci de spécifique depuis la guerre, qu’il s’agit d’une forêt où l’on rase des feuillus pour les remplacer exclusivement par des résineux et c’est quasi systématique. C’est un massif forestier à 100% de feuillus qui n’en est plus qu’à 50% aujourd’hui. »
Ainsi, depuis le 19ème siècle, les conséquences des coupe-rases sur les forêts anciennes de plus de 150 ans partaient majoritairement en bois-énergie et pour une usine à bois en région parisienne. C’est de cette manière que le massif s’est totalement consumé jusqu’à l’entrée des années 70. « Il se passe aujourd’hui en forêt ce qui s’est passé en agriculture dans les années 70. » Des tensions énergétiques les plus fortes aux solutions non miraculeuses, il n’y a qu’un pas et la forêt redevient donc un enjeu brûlant pour les années à venir. A y regarder de plus près selon le président d’Adret Morvan, on approche aujourd’hui la forêt comme l’agriculture dans les années 70 avec cette vision toujours plus mécaniste et productiviste, et « ce sera dans les années à venir que le futur de ces massifs se jouera ».
toujours plus mécaniste et productiviste, et « ce sera dans les années à venir que le futur de ces massifs se jouera ». Ainsi, les gens qui luttent pour protéger leur forêt semblent être de plus en plus nombreux au cœur du Morvan, adhèrent aux initiatives de nouveaux groupements forestiers citoyens, une bonne trentaine aujourd’hui en France, pour se distinguer de ceux qui spéculent sur le dos des forêts. « Avec le groupement du Chat Sauvage, nous ne distribuons pas de dividende et on ne s’interdit pas de couper du bois. Pour une majeure partie du massif, tout est en libre évolution (ndlr: pousse libre des essences), notamment pour les zones humides, mais on peut utiliser le bois des forêts sans pour autant tout détruire. Avec l’association Bois des forêts Vivantes, on met en relation les professionnels, autour de circuits courts de bois issues des forêts vivantes. Par exemple, nous avons acquis une parcelle avec le groupement pour le dévouer à une association de femmes charpentières. La forêt est un lieu de vie et doit le rester. »
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