De plus en plus de variétés légumières disparaissent, emportant avec elles leur valeur patrimoniale, génétique, environnementale ou encore gustative. Face à cette érosion de la biodiversité, des acteurs s’engagent pour faire vivre ces variétés ancestrales, comme l’Union pour les ressources génétiques du Centre-Val de Loire à La Châtre (Indre) ou le conservatoire de Mille Variétés anciennes à Millançay (Loir-et-Cher).
La star du moment est orange. Plutôt élancée. Couverte de verrues. Et répond au doux nom de sucrette de Valençay. Cette courge, cultivée très localement dans l’Indre, a longtemps été introuvable. Activement recherchée depuis 2019, elle est finalement de retour en Centre-Val de Loire.
A l’origine de cette trouvaille, l’URGC, l’Union pour les ressources génétiques du Centre-Val de Loire, basée à La Châtre (Indre). L’association, créée en 2001, a pour objectif de redonner à la biodiversité domestique une place de choix dans le paysage agricole et culinaire de la région. Elle effectue un travail d’inventaire, de conservation, d’expérimentation et de valorisation autour de ces légumes « oubliés ». En France, deux autres structures similaires existent dans les Hauts-de-France, le Centre régional de ressources génétiques, et en Nouvelle Aquitaine, le Conservatoire des ressources génétiques du Centre-Ouest Atlantique.
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Une histoire « pleine de rebondissements »
L’histoire de la sucrette de Valençay, comme tant d’autres avant elle, est « pleine de rebondissements », raconte Lucie Bourreau-Gomez, chargée de mission au sein de l’URGC. « Un vieux lot de semences étaient conservés au conservatoire de Mille Variétés anciennes de Millançay (Loir-et-Cher), mais elles ne germaient plus. »
Un premier appel à témoin permet de retrouver des graines mais celles-ci sont hybridées. L’association retourne sur le terrain, persiste et trouve quatre familles de Vicq-sur-Nahon (Indre) qui la connaissent. L’une d’entre elles a encore des graines. Les semences sont reproduites. La prochaine étape ? La courge sera testée par des maraîchers cette année. La variété, une fois sauvée, devrait retrouver les étals et les assiettes.
Un travail de recherche de longue haleine
Depuis une quinzaine d’années, l’association a retrouvé une quarantaine de variétés régionales, parfois à l’autre bout du globe : la betterave jaune ovoïde des Barres, découverte chez un semencier au Québec, le choux pancalier de Touraine, chez un collectionneur du nord de la France ou encore le céleri violet de Tours, identifié par un jardinier amateur et dont les graines ont été retrouvées chez un professionnel.
Tous les moyens sont bons pour mettre la main sur la plante désirée : écumer les archives, les anciens catalogues de semenciers, passer des appels à témoins dans les journaux locaux et les gazettes municipales, rencontrer les aînés dans les résidences et maisons de retraite, faire des expositions sur une variété oubliée. L’association prévoit même de former des bénévoles pour pister les variétés anciennes sur les marchés, dans les foires aux plantes ou encore chez les jardiniers. Un vrai travail d’enquête en somme.
« Dans la région, nous sommes sûrs qu’il a existé une centaine de variétés locales de légumes », explique la jeune femme. « Nous continuons d’en chercher une soixantaine. » Comme le coco de Selles-sur-Cher. « Nous avons deux-trois archives à ce sujet. Mais peut-être est-ce le même que le coco de Saint-Aignan, une commune située à quelques kilomètres de là, et dont on perd la trace en 1920. »
Conserver les légumes anciens
A un peu plus d’une centaine de kilomètres de là, à Millançay dans le Loir-et-Cher, le conservatoire de semences potagères Mille variétés anciennes collabore régulièrement avec l’URGC. Créée en 1974 par l’un des pionniers de l’agroécologie en France, Philippe Desbrosses, la ferme conservatoire s’attèle à sauvegarder et reproduire les variétés ancestrales, en agriculture biologique.
« Nous sommes sept à travailler ici », explique la directrice du conservatoire et présidente de l’association Mille Variété anciennes Isabelle Poirette. « Nous reproduisons les semences dans les meilleures conditions, un petit peu sous serres au cas où, au maximum en plein champ. Ensuite, nous les goûtons à plusieurs et nous faisons des fiches caractéristiques. »
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La ferme reçoit de nombreux dons de graines de jardiniers amateurs du monde entier. Elle les étiquette et les stocke et, quand elle le peut, les teste, avec parfois de belles surprises. « En 2019, nous avons redécouvert des variétés de tomates, baptisées la bonne fée et la tomate mangue. Il y en a une aussi que nous apprécions particulièrement, la tomate château de Chartres. » Une fois cultivées et reproduites, les graines font le chemin inverse. La demande pour ces variétés anciennes est quasi-mondiale.
Aujourd’hui, après cinquante ans d’existence, le lieu abrite plus de 1840 variétés rustiques. Un petit trésor quand on sait que moins de 200 plantes sont à l’origine de la production alimentaire mondiale et neuf d’entre elles représentaient 66 % de la production végétale, selon un rapport de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, datant de 2019.
Des intérêts multiples
Pendant longtemps, le créateur de la ferme-conservatoire Philippe Desbrosses n’a pas mesuré la valeur de son « trésor ». « Au départ, je sentais bien qu’il y avait quelque chose, mais je faisais cela pour la beauté du geste, parce que ces variétés étaient différentes, pour la biodiversité, note-t-il. Mais pas parce qu’il y avait un intérêt. Je ne me rendais pas compte. » Ce qui était du « folklore » se révèle être « fondamental pour la suite ».
Le déclic arrive en 2018, lorsque l’agroécologue est contacté par une chercheuse, Maiwenn L’Hoir, qui s’intéresse dans le cadre de sa thèse aux endophytes microbiens de semences (des systèmes microbiens symbiotiques). « Elle me dit : vous comprenez que j’aimerais beaucoup tester vos variétés anciennes car dans les variétés modernes, il n’y a plus d’endophytes. J’en ai eu des frissons dans le dos. Et puis le résultat est tombé. Nous sommes allés à Montpellier. « Il n’y a pas photo », m’a-t-elle dit. » L’absence d’endophytes conduit à l’appauvrissement des sols, tout comme à la perte nutritionnelle et gustative des légumes. « Les variétés anciennes seraient sept à quatorze fois plus riches en vitamines », poursuit Philippe Desbrosses.
S’adapter au changement climatique
En matière d’adaptation au changement climatique, les variétés « oubliés » ont aussi un rôle à jouer. De plus en plus, les chercheurs s’intéressent à cette diversité génétique car elle permet une meilleure résistance aux maladies ou au stress climatique (épisode de gel, de sécheresses, vagues de chaleur, etc.) « Nous n’allons d’ailleurs plus bichonner nos semences car elles doivent faire face, souligne Isabelle Poirette. Nous allons les tester dans des conditions extrêmes. Certains préfèrent tout reproduire sous serre pour avoir de bonnes graines. Mais ce qu’il nous faut, c’est des graines résilientes. »
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Dans l’Indre, la Grainothèque de Reuilly – une association qui souhaite maintenir une biodiversité cultivée sur son terroir – a déjà commencé à tester des semences en conditions extrêmes. « Les parcelles de sélection comptent parmi les plus mauvais terrains de culture dans le terroir de Reuilly : sol sableux ne retenant pas l’eau, pas de sources ni de retenues naturelles d’eau à proximité, pas d’ombre, zone balayée par les vents, sol naturellement très pauvre et inapte à toutes cultures. Ces conditions sont nécessaires afin de faire un premier « tri » », peut-on lire sur son site internet. Les légumes sont ensuite sélectionnés en fonction de leur aspect, leur vigueur, leur goût et leur résistance aux aléas.
L’intérêt est aussi patrimonial, car les vieilles variétés sont originales, par leur goût, leur texture, leur mode de culture. « Cela fait partie du patrimoine vivant, de la culture de la commune », souligne Lucie Bourreau-Gomez de l’URGC. « Ces variétés anciennes ont un intérêt aujourd’hui. Peut-être qu’à l’avenir, on ira piocher dans ces gènes. »
Du conservatoire à l’assiette
Une fois retrouvés, ces légumes anciens ont vocation à être de nouveau cultivés et dégustés. En Centre-Val de Loire, l’URGC a pour mission de coordonner l’expérimentation dans les champs et en cuisine, auprès de maraîchers et de restaurateurs. L’association mène des études et suit de près ce qui se passe lors des cultures. « Les restaurateurs, quant à eux, nous aident pour les décrire et comprendre leur qualité en cuisine. Cela aide ensuite les maraîchers à mieux les vendre. » La sucrette de Valençay pourra ainsi se déguster en tartinade, grillée au fromage de chèvre ou en salade de quinoa.
Le retour dans les assiettes passe aussi par un travail de sensibilisation et de pédagogie. L’URGC, qui propose régulièrement des expositions, travaille avec l’Éducation nationale autour de deux projets : « Le premier consiste à former des professeurs à la production de graines. Ils peuvent ensuite le faire avec leurs élèves, indique Lucie Bourreau-Gomez. Le second vise à créer une exposition itinérante avec les établissements scolaires, autour des variétés rares. »
De son côté, la ferme de Sainte-Marthe, qui propose régulièrement des formations et des stages depuis 1994, a ouvert un conservatoire pédagogique en 2017 pour présenter aux visiteurs la diversité des espèces et des graines et leur permettre d’en apprendre plus sur les savoirs ancestraux, via une exposition permanente.
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Un autre projet de transmission à la jeune génération est particulièrement cher à Philippe Desbrosses et Isabelle Poirette. Alarmés pendant la pandémie de Covid-19 par les files d’étudiants en situation de précarité, attendant des heures sur les trottoirs pour pouvoir se nourrir, ils ont lancé avec leur association Intelligence verte un potager étudiant coopératif à Blois (Loir-et-Cher). Une manière pour les jeunes d’accéder à l’autonomie alimentaire et à une nourriture de qualité. Une aventure sociale et agricole aussi qui a vocation à s’étendre à d’autres campus et à perdurer dans le temps.
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