Rendre visible l’invisible. La pollution, la toxicité alimentaire, agricole, environnementale, l’insinuation du mal planétaire de la croissance, tout y passe. Tout cela, Mathieu Asselin, photographe documentaire, en a fait son cheval de bataille, tel un Don Quichotte refusant le mépris et le cynisme, notamment à travers son immense travail autour du semencier Monsanto.
Mathieu Asselin est un artiste franco-vénézuélien, qui, après avoir réalisé une première vie au cinéma à Caracas, œuvre depuis sans relâche pour mettre en lumière tous les abus de pouvoir et leurs conséquences sociales, économiques et écologiques. Ainsi, son projet Monsanto, une enquête photographique retrace la chronologie des événements les plus importants de l’histoire de la multinationale semencière Monsanto, depuis 150 ans, avec toutes les conséquences pour les populations. Cette chronologie a été rendue visible pour la première fois par son travail documentaire en 2017 et l’a depuis lors rendu incontournable.
« Monsanto a une histoire très intéressante car il est souvent très difficile de voir ce qui se passe. Je photographie des paysages qui paraissent immaculés, je photographie des gens pour qui tout pourrait avoir l’air d’aller bien. Mais si vous retirez cette première couche, vous réalisez que ces paysages sont gravement contaminés et que ces gens sont gravement affectés par des problèmes de santé, mais aussi des problèmes économiques. À un moment donné, j’ai réalisé qu’il fallait que j’y inclue des documents, des images d’archives, mais aussi différentes manières de photographier. »
« Tout est connecté, on le sait bien »
Mathieu Asselin a ainsi décidé de rassembler les éléments du puzzle invisible pour compléter son enquête documentaire. « Je me suis beaucoup inspiré du travail de Marie-Monique Robin qui avait écrit sur Monsanto mais dans la photographie documentaire, oui, je suis le premier à avoir rassemblé les éléments du puzzle qui rendent le paysage impressionnant. Il ne s’agissait pas de présenter seulement les sujets autour du Vietnam et des dégâts de l’agent orange ou des États-Unis avec les fermiers dépossédés et malades. Non, tout est connecté, on le sait bien. Ce qui est intéressant avec Monsanto, c’est que tout est documenté d’une manière ou d’une autre. »
Photographiquement, l’enquête fut alors complexe et longue des années durant, enrichie par le travail d’ONG, la publication de documents secrets devenus publics et réussie grâce au travail de Mathieu autour de la colonne vertébrale que représente l’influence globale de la multinationale devenue Bayer-Monsanto aujourd’hui.
« Ce sont des gens convaincus qu’ils sont les sauveurs du monde, ils y croient vraiment. Et depuis que c’est Bayer, c’est encore pire, parce qu’ils sont le soin et le mal en même temps alors que du temps de Monsanto, c’était un rouleau compresseur sans finesse qui déployait son pouvoir et son agressivité. Ils me connaissent mais je ne leur fais pas grand mal. Ils veulent tout, ils ont tout. »
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Rendre visible mais trouver le juste impact à son travail
Résultat, prix et reconnaissances couronnent le travail implacable de Mathieu Asselin, notamment aux Rencontres photographiques d’Arles, et saluent la mise au ban du groupe. Mais dans l’ombre se pose toujours la question de l’impact réel de cette visibilité.
Mathieu relativise avec humilité son travail : « J’essaie de créer au-delà du petit cercle documentaire de la photographie, sinon on reste trois à se donner raison. C’est pour cela que de m’associer avec Libération pendant cinq ans à chaque fois qu’ils souhaitent traiter le sujet Monsanto, c’est ma forme d’engagement qui permet de rendre visible ces causes. Mon travail a un impact seulement si cela se crée dans une démarche beaucoup plus grande que le monde de la photo documentaire. On est tellement peu. »
Déconstruire la narration des multinationales
Mathieu Asselin se considère alors comme un pessimiste actif et ne se ménage pas, depuis son enquête contre Monsanto, pour travailler sur les dossiers les plus impossibles : les pollutions cachées des grands groupes automobiles ou celles de chimistes sans vergogne.
« L’écologie positive, ce sont des fake news, les énergies renouvelables ne remplacent rien, cela remplit des trous d’air. Les problématiques les plus importantes à montrer, c’est l’invisibilité de la violence. Et ce qui m’intéresse beaucoup, ce sont les narrations des multinationales et comment déconstruire ces narrations. Par exemple, ces histoires de la voiture zéro émission, on se marre là, non ? On est en train de nous vendre n’importe quelle bagnole. Quand tu vas au désert d’Atacama au Chili, ils sont en train de pomper l’eau pour faire des batteries au lithium, ou en Chine, on produit de l’acier avec du charbon. Donc oui, les plus forts enjeux, ce sont les multinationales qui les portent et c’est cela qu’il faut montrer. »
Ainsi le travail de Mathieu Asselin tourne aujourd’hui autour du fameux rapport Meadows sorti en mars 1972, ce livre publié en France sous le titre Les Limites de la croissance dans un monde fini, coécrit avec Donella Meadows, son mari Dennis Meadows et Jorgen Randers. Le but était de s’interroger sur les limites de la croissance économique. La réponse est implacable : une société qui consomme et produit toujours plus, pollue aussi toujours plus et sera confrontée à la raréfaction des ressources. Une immense tâche attend alors le photographe pour nous montrer tout cela, même si on imagine bien où il souhaite nous mener.
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