En Anjou, les semences paysannes ont leur maison

En Anjou, les semences paysannes ont leur maison

Alors que 90% des variétés agricoles ne sont plus cultivées, une Maison des semences paysannes, ouverte en juin 2023 à Bouchemaine dans le Maine-et-Loire, permet de conserver plus de 500 variétés cultivées sur place. L’objectif ?  Permettre aux agriculteurs d’en disposer librement.

C’est en 2004, en pleine mobilisation des Faucheurs volontaires d’OGM, que Florent Mercier, se lance dans la sélection de semences paysannes, alors même qu’il vient de reprendre la ferme familiale laitière et céréalière du Pont-de-l’Arche à Bouchemaine (Maine-et-Loire).

Celui qui fait figure de pionnier dans la région a, dans un esprit volontaire, créé au cœur de son exploitation une plateforme d’essais composée de plusieurs centaines de micro-parcelles. Des variétés délaissées, voire quasiment oubliées, de blé tendre, poulard, orge, avoine, seigle, petit et grand épeautre et autres espèces de céréales « à pailles » y sont plantées.

En provenance de conservatoires français comme celui du Centre de ressources biologiques de l’INRA à Clermont-Ferrand ou étrangers comme celui de Madrid, ces variétés sont également issues de collections privées de producteurs du Réseau semences paysannes. Lors des cinq premières années, plus de 500 variétés ont ainsi été semées sur la plateforme de la ferme du Pont-de-l’Arche.

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Défenseur des variétés paysannes depuis vingt ans, Florent Mercier est parvenu à ce jour à en conserver plus de 500. @Crédit Photo : Jean-Pierre Chafes

Une manière d’identifier et de caractériser les variétés

Produites en petite quantité (les lots n’excèdent pas les deux kilos), ces semences n’en revêtent pas moins un grand intérêt. Que ce soit pour la préservation du patrimoine végétal évidemment, mais aussi, et surtout, pour l’identification et la caractérisation des variétés.

« C’est le principe de la plateforme d’essais. Planter pour pouvoir observer comment se comportent les variétés et quel intérêt elles peuvent présenter », souligne Adrien Lisée, chargé de mission grandes cultures et élevage pour le Groupement des agriculteurs biologistes et biodynamistes d’Anjou (GABB).

« On préfère aujourd’hui le terme de semences paysannes à celui de semences anciennes, trop réducteur, poursuit-il. Mais l’idéal serait de parler de variétés issues d’une génétique diversifiée qu’on trouvait jusque dans les années 1950, avant la sélection moderne. »

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Des semences qui s’adaptent aux terroirs

Si certaines de ces variétés ne donnent pas satisfaction parce qu’elles n’ont pas un rendement suffisant ou manquent de qualité pour la panification, d’autres vont retenir l’attention de la quarantaine de paysans qui suivent de près les essais chaque année et voient les avantages de l’utilisation de ces semences.

Paysan-boulanger installé à Saint-Aubin-de-Luigné (Maine-et-Loire), Franck Perrault ne plante d’ailleurs sa douzaine d’hectares de céréales qu’avec des semences paysannes. « D’abord, parce qu’elles ont un réel intérêt agronomique. Elles couvrent bien le sol. Elles valorisent beaucoup mieux les parcelles pauvres, explique-t-il. Mais aussi parce qu’à la différence des variétés modernes, totalement standardisées et stabilisées, elles ont un bagage génétique qui leur permet de s’adapter à des terroirs différents. »

C’est le cas au Pont-de-l’Arche. « Contrairement aux conservatoires où les semences sont au congélateur et n’en ressortent que tous les dix à quinze ans, à Bouchemaine, les semences sont plantées chaque année », poursuit le paysan-boulanger.

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Cette démarche et ces résultats ont également convaincu Simon Jeanneau, un autre paysan-boulanger installé à Saint-Georges-sur-Layon, non loin de chez Franck Perrault. « Ce n’est pas uniquement parce que c’est une semence ancienne que ça marche. En tout cas, les céréales cultivées et assemblées dans la région s’adaptent mieux aux conditions climatiques locales. »

La plateforme d’essais de la ferme du Pont-de-l’Arche. @Crédit photo : GABBAnjou

Un « non » ferme aux semenciers industriels

Les semences paysannes sont des variétés libres qui ne sont pas la propriété des grands groupes industriels. Non inscrites dans le Catalogue officiel, elles ne peuvent par conséquent être vendues qu’à des non-professionnels, mais elles sont toutefois cessibles gratuitement ou échangeables, dans le respect des collectifs ou des individus qui les ont conservées et sélectionnées.

Avec comme corollaire, la possibilité de les cultiver et de les multiplier librement chez soi. Comme le fait Simon Jeanneau qui utilise un blé tendre issu d’un lot de population (mélange de sept-huit variétés différentes) créée au Pont-de-l’Arche et multipliée par ses soins. Même s’il faut trois à quatre ans pour arriver à semer un hectare à partir du lot de départ choisi, Franck Perrault se félicite lui aussi de pouvoir se passer des « services » des semenciers industriels grâce à la ferme du Pont-de-l’Arche.

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Un toit pour les 500 variétés de semences paysannes

Seule fragilité, ces semences demandent à être entreposées à l’abri et au sec afin que les charançons ne viennent pas s’attaquer au patrimoine créé. D’où la nécessité de mettre en place un lieu dédié pour leur bonne conservation sur la ferme et permettre le partage des semences.

Dans cet élan collectif, une campagne de financement participatif lancée en novembre 2022 a permis la construction d’une maison dédiée à cet usage, isolée en laine de bois et paille et recouverte d’un bardage de bois. Un ensemble qui, en limitant les variations de températures à l’intérieur, assure une meilleure conservation des quelques 500 variétés de semences.

Quant au mode de fonctionnement de cette Maison des semences paysannes, il se co-construit entre les différents utilisateurs, ce qui a permis d’en définir les grandes lignes. « Le but, c’est que les producteurs bio adhérents du GABB puissent utiliser la Maison de la façon la plus autonome possible, indique Adrien Lisée, qui estime que ce nouveau lieu disponible devrait trouver son rythme de croisière cet été. Que ce soit pour retirer des semences ou pour en déposer puisque certains font également des essais chez eux. » Une émancipation paysanne en plein envol.

Paysan-Boulanger, Franck Perrault (à gauche) a été l’un des nombreux donateurs qui on permis à la Maison des séances paysannes de voir rapidement le jour. @Crédit Photo : Jean-Pierre Chafes
Entre espoirs douchés et doutes: l’épineuse route de l’installation agricole

Entre espoirs douchés et doutes: l’épineuse route de l’installation agricole

Loin de la gronde des exploitants agricoles, on n’entend que peu les quelques 200 000 ouvriers agricoles qui participent activement au bon fonctionnement des exploitations agricoles. Marius Chauvin est de ceux là, avec en ligne de mire une installation personnelle. Un véritable marathon. 

Marius Chauvin a 24 ans quand il décide de changer de vie en 2016. Titulaire d’un bac pro de commerce et employé dans une association d’éducation populaire, il s’inscrit auprès de la Chambre d’agriculture de Nantes pour passer un BPREA spécialité cultures légumières. « Attiré par la permaculture », le jeune ligérien a en effet l’intention de s’installer comme maraicher en bio. 

Ouvrier agricole, un passage obligé

Considérant que malgré le diplôme décroché, il n’est pas encore en capacité de mener à bien son projet, Marius souhaite cependant travailler dans un premier temps comme ouvrier agricole. « Un an d’études n’était selon moi pas suffisant pour maitriser totalement le sujet. C’est pour ça que j’ai voulu parfaire ma formation de terrain en me faisant embaucher de mars à octobre dans l’exploitation où j’avais effectué mes stages et où ils pratiquent sur une petite surface de 2,5 hectares, du maraichage bio et diversifié comme j’ai moi-même l’intention de le faire à terme. J’ai également bossé de janvier à mars dans une autre exploitation, bio toujours mais beaucoup plus grande (10 hectares) ». 

Credit photo Jean-Pierre Chafes

Succession de contrats à durée déterminée et main d’œuvre étrangère

Si cette formule lui convient plutôt bien et lui permet en tout cas de peaufiner son projet d’installation, Marius va – comme de nombreux ouvriers maraichers – enchainer pendant trois ans les contrats à durée déterminée sous le régime des TESA (Titres Emplois Simplifiés Agricole). Payé au Salaire Minimum Agricole (8,11 euros net de l’heure) et privé de prime de précarité en fin de contrat, Marius a eu ainsi l’occasion de se faire une idée précise de la condition d’ouvrier agricole. « Il y a bien sûr des  différences d’une exploitation à l’autre – et j’ai pu m’en rendre compte moi-même à travers mes expériences -, mais le travail est dans l’ensemble difficile physiquement et le salaire loin d’être 

attrayant. Ça explique évidemment en grande partie la pénurie d’ouvriers agricoles en France et le recours de certains exploitants à une main d’œuvre étrangère souvent moins bien payée que les Français ».

Peu de terres agricoles disponibles

Rattrapé par sa formation sociale initiale, Marius Chauvin décide en 2019 de rejoindre l’équipe du Jardin de Cocagne angevin, une association de lutte contre l’exclusion, en tant qu’encadrant technique. « Je voulais voir comment allier le social et le maraichage ». Il va donc gérer une plate-forme de récupération de fruits et légumes pour les réseaux d’aide alimentaire, tout en vendant aussi très régulièrement sur les marchés. 

Et toujours décidé à s’installer à son compte, il se heurte là encore parallèlement au déficit de terres disponibles. « La préemption de certaines terres par les SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) pour aider les jeunes agriculteurs à s’installer est en effet loin d’être suffisante. Il faut suivre attentivement auprès de chambres d’agriculture et du Répertoire départemental à l’installation, les terres qui se libèrent. Et de façon générale, il y a trop peu de terres disponibles par rapport aux demandes.» Marius finit pourtant par trouver à Denée, en Maine et Loire, le terrain propice pour mener à bien son projet. 

Et un arsenal administratif

Mais Marius n’est pas au bout de ses peines puisque l’autorisation d’y installer 720m2 de serres sur 1 hectare dédié au maraichage est assujettie au classement de cette parcelle située en zone naturelle, en STECAL (secteur de taille et de capacité d’accueil limitées). Et cela passe par une révision du PLU toujours en stand by à ce jour.

Tout comme la dotation jeunes agriculteurs à laquelle Marius peut prétendre en tant que titulaire de la capacité professionnelle obtenue grâce à son BPREA et par la possession d’un Plan de Professionnalisation Personnalisé suite aux 21 heures de stage obligatoires. « Les 20000€ de Dotation Jeune Agriculteur auxquels s’ajouteraient les 7000 attribués pour les exploitations bio seront en effet les bienvenus au début de l’installation, quand c’est difficile de se sortir un revenu ». Entre espoir et détermination, il ne faut jamais rien lâcher.

Sans certitude sur l’avenir

Non syndiqué mais présent à plusieurs prises ces dernières semaines sur les rassemblements d’agriculteurs en colère, Marius n’ignore aujourd’hui plus rien des   embûches pour vivre actuellement de son métier. Au point d’avoir construit un business-plan plutôt raisonnable. « Sur un hectare en culture, on n’a pas prévu avec le collègue maraicher qui m’accompagne dans ce projet d’être à plein temps. Même si on pense pouvoir atteindre les 1200 euros du minimum agricole au bout de cinq ans d’exploitation, je préfère garder un salaire « sécure » à côté ».

Alors en attendant, Marius travaille comme ouvrier agricole chez un maraicher à Denezé-sous-Doué.

Apiculteurs : le combat continue

Apiculteurs : le combat continue

Mobilisés depuis le mois de novembre contre la concurrence déloyale des miels étrangers, les apiculteurs n’ont pas rendu les armes. Il faut dire que les dernières annonces gouvernementales n’ont rien changé à leur quotidien. Voire l’ont aggravé, à l’instar de la suspension du plan Ecophyto.

Photos de Marie-Noëlle Gonet et Clément Guillot

Si Jacky Bernaudet, tranquillement assis dans l’arrière-boutique de sa miellerie en ce vendredi d’ouverture au public, est plutôt du genre calme, il a pourtant fait partie de la soixantaine d’apiculteurs ligériens qui ont envahi un hypermarché de Rezé (Loire-Atlantique) au début du mois de février afin de faire grossir les rangs des apiculteurs engagés à fair entendre leur voix dans cette crise agricole.

Contrôler le libre échange

« Notre but était de montrer que les rayons des grandes et moyennes surfaces sont remplis de miels d’importation – voire même parfois de sirops de glucose, vendus abusivement sous le nom de miel – alors que les apiculteurs 

français ont de plus en plus de mal à vivre de leur travail et que certains collègues vont bientôt mettre la clé sous la porte ».
Le constat n’est hélas pas nouveau puisque le 30 novembre dernier – alors que la colère des paysans n’avait pas encore pris la dimension qu’elle a connue – une intersyndicale des apiculteurs professionnels avait en effet déjà organisé une première manifestation place de la République à Paris. « Les revendications étaient déjà les mêmes : dénoncer la concurrence de miels étrangers produits à bas coûts en raison d’une main d’œuvre meilleure marché et de normes moins strictes ; contrôler le libre échange en taxant, voire en interdisant, les importations de miel pour permettre aux apiculteurs français qui font du miel en vrac et n’en assurent pas directement la commercialisation, d’écouler leur production ». Sous prétexte que « le miel doit rester accessible à tous », grandes et moyennes surfaces jouent en effet sur le prix de revente au public pour pousser les conditionneurs à acheter du miel étranger moins cher (moins de 2€ le kilo pour celui d’Ukraine !).

Photos de Marie-Noëlle Gonet et Clément Guillot

Eliminer les insecticides tueurs d’abeilles

Bien qu’il ne soit pas concerné directement par cette problématique en raison du modèle économique artisanal choisi lors de son installation comme apiculteur professionnel en 2017 – il met lui-même en pots le miel qu’il récolte et le vends en circuit court -, l’ancien électricien du bâtiment tient plus que jamais à rester mobilisé. Et ce d’autant plus que « les récentes annonces gouvernementales ne devraient pas améliorer les choses. Au contraire ». Principale source d’inquiétude : la suspension du plan Ecophyto, considérée par la profession (et de nombreuses ONG de défense de la santé et de l’environnement) comme un véritable retour en arrière. Plus que cela même, Jacky Bernaudet se qualifie de « fusible de 

la nature, nous sommes les premiers à nous rendre compte lorsque quelque chose ne va pas ».
Les apiculteurs avaient en effet constaté, dès la fin des années 1990, une surmortalité inhabituelle des abeilles, jusqu’à 30% en moyenne par an contre 5% habituellement, incapables de retrouver le chemin de la ruche. En particulier lorsqu’elles étaient situées à proximité de champs de maïs ou de tournesol traités au Gaucho, un puissant insecticide. Leur mobilisation et les études scientifiques qui ont suivi, ont été alors à l’origine en 2018 de l’interdiction par l’Union européenne de cet insecticide contenant de l’imidaclopride, classée parmi les néonicotinoïdes le plus nocifs pour les milieux aquatiques et les animaux. D’où l’incompréhension de Jacky Bernaudet pour qui « la suspension du plan Ecophyto, dont l’objectif est de réduire de 50% l’usage de pesticides dans l’agriculture, est inquiétante pour les apiculteurs confrontés au quotidien à suffisamment d’autres problèmes ».

Lutter contre les effets du changement climatique

 « Les mains dans les abeilles de mars à septembre » et quasiment 24 heures sur 24 au moment des transhumances qui doivent s’effectuer la nuit quand les butineuses sont rentrées à la ruche, l’apiculteur énumère la longue liste des fléaux auquel il fait fasse chaque jour principalement liés au changement climatique désormais. Si le frelon asiatique, qui a attaqué les ruches de Jacky en 2017, est désormais présent quasiment partout en France en est un exemple, la répétition des sécheresses et la hausse des températures sont en effet au moins aussi préoccupantes. « Plus il fait chaud, moins il y a de fleurs. Dans le sud, les fortes chaleurs provoquent des trous dans les miellées et obligent les apiculteurs à nourrir les abeilles en plein été. Moi, j’ai 

Photos de Marie-Noëlle Gonet et Clément Guillot

constaté l’hiver dernier que les reines se sont remises à pondre en raison des températures trop douces pour la saison alors que la ruche est sensée être au ralenti. C’est un problème dans le sens où les abeilles qui naissent ont besoin de miel pour se nourrir et que les stocks sont limités dans les ruches à cette période-là ».

Photos de Marie-Noëlle Gonet et Clément Guillot

Protéger la biodiversité

 Pour Jacky, le pire pourrait cependant être encore ailleurs. Dans la dégradation de la biodiversité. « On entend souvent qu’on peut détruire une haie si on replante la même un peu plus loin. Mais moi, je vois bien avec les abeilles qu’une haie, ça ne vient pas comme ça. Il faut une dizaine d’années pour en retrouver une aussi fournie, avec un même potentiel mellifère » s’insurge ainsi l’apiculteur pour qui « les OGM, moins nectarifères que les plantes classiques » entrainent également la diminution de la production. « Depuis que je me suis installé, j’ai constaté une baisse des rendements à l’hectare de miel de tournesol. Avant, il ne fallait pas oublier l’escabeau pour poser toutes les hausses sur les ruches. Aujourd’hui quand j’en mets trois, je suis très content ».

Et c’est bien pour ça que la suspension du plan Ecophyto est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Cette décision est d’autant plus incompréhensible que de nombreux agriculteurs, comme celui chez qui j’installe mes ruches au moment de la transhumance pour faire du miel de sarrasin, se sont rendus compte que leurs rendements étaient meilleurs quand il y a des pollinisateurs. La preuve que si on arrive à maintenir une agriculture de qualité, on sera tous gagnants ».

Faire renaître la forêt angevine

Faire renaître la forêt angevine

Deux ans après l’incendie qui a ravagé près de 1300 hectares, l’heure de la reconstitution du massif forestier de Baugé-en-Anjou a sonné. Mais quel sera l’aspect de la forêt de demain ?

Le 8 août 2022, un incendie a ravagé Près de 1300 hectares da ns le massif forestier de Baugé-en-Anjou. Plus particulièrement dans un triangle Clefs-Vaulandry-Montpollin. Photos J-P Chafes.

S’il faut remonter à 1959* pour retrouver un incendie d’une ampleur comparable à celui du 8 août 2022 et des 1280 hectares ravagés entre Clefs, Vaulandry et Montpollin, trois communes déléguées de la commune nouvelle de Baugé-en-Anjou, le Maine-et-Loire n’est pas – contrairement à ce que pourrait le laisser penser sa situation géographique -, à l’abri de ce type d’événement. Au contraire. Dans son atlas régional du risque des feux de forêt paru en novembre 2022, la Direction régionale de l’environnement, l’aménagement et le logement indique même que « les massifs compris entre Angers, Le Mans et Tours sont les plus sensibles de la moitié nord de la France, avec le même indice que la forêt des Landes ».

Pin maritime, une majorité très inflammable

 Dans un contexte récurrent de faibles précipitations propice aux incendies, ils présentent en effet un important facteur aggravant : leur composition. Majoritairement, « des pins maritimes, classés avec une sensibilité forte au feu » par la Dreal et dont plus de 800 hectares ont été la proie des flammes entre le 8 et le 10 août 2022.
Mais pourquoi autant de pins maritimes sur des terres où ils ne sont pas endémiques ? Une chose est sûre, cela ne date pas d’hier. Selon Claude Grimal, auteur des « Forêts d’Anjou entre Loire et Loir, l’exploitation de la forêt » (1), l’introduction du pin maritime en Anjou par un certain marquis de Turbilly remonte en effet à 1749.
Si l’on retiendra que Mandy Gréaume, technicienne 

Un an et demi après l’incendie, les étendues couvertes essentiellement de pins maritimes offrent toujours des paysages de désolation. Photos J-P Chafes.

forestière pour le Centre National de la Propriété Forestière, justifie cette initiative par le fait que le pin maritime est « une espèce frugale, à son aise dans les sols sablonneux à fort déficit hydrique », on n’oubliera pas non plus que le pin maritime fait l’objet depuis le XVIIIème siècle d’une importante exploitation. Longtemps pour sa résine ; aujourd’hui encore pour son bois.
Ce sont d’ailleurs ces considérations économiques qui ont été au centre des premières initiatives prises après l’incendie. A commencer par l’abattage des arbres touchés par le feu (environ 150 000m3 au total selon les chiffres de Fransylva) et vendus essentiellement comme bois d’œuvre et bois industrie pour ce qui est des résineux et comme bois énergie et bois de chauffage pour les feuillus.

Les feuillus ont été plus épargnés par les flammes. Ils n’en portent pas moins encore aujourd’hui les stigmates du passage du feu. Photos J-P Chafes.

On ne change pas une… forêt qui brûle

 Cette opération effectuée, la question qui se posait désormais était celle de l’avenir du massif forestier de Baugé-en-Anjou. Avec ses corollaires : faut-il replanter ou laisser faire la régénération naturelle ? Mais aussi que replanter ?
Alors que s’achève la période d’observation nécessaire pour savoir ce qu’allait faire la nature, des tendances se dessinent. « Globalement satisfaisante en particulier sur les parcelles où les cônes des pins maritimes matures ont laissé, sous l’effet de la chaleur, sortir des graines qui ont germé », la régénération naturelle n’en demande pas moins, pour Mandy Gréaume, à être accompagnée « en s’exemptant de la concurrence végétale ». Un argument que l’Association Syndicat Libre de Gestion Forestière des forêts de Baugé-en-Anjou, créée en janvier 2023 et réunissant à ce jour 33 propriétaires pour une superficie d’un peu plus de 600 hectares, reprend par la voix de son président Roger Pourias. « Si des essences comme le tremble, le bouleau ou la fougère qui ne présentent pas d’intérêt en sylviculture, étouffent la génération naturelle de pins maritimes qui pourrait repartir, elles ne seront pas conservées ». D’où un paysage futur qui devrait fortement ressembler à celui du massif avant l’incendie. « La seule chose qui dicte en effet le choix des essences à planter, c’est le sol. Et dans la forêt de Baugé, il est quasi exclusivement composé de sable dans lequel se plaisent les pins maritimes » reprend Mandy Gréaume. « Bien entendu, l’intérêt des propriétaires que nous sommes chargés de conseiller est qu’il y ait un mélange d’essences pour 

favoriser la biodiversité et la résilience, mais ça ne peut pas constituer l’essentiel du peuplement. Pour avoir un ordre d’idée : on devrait à terme retrouver 80% d’essence objectif (pin maritime ou cèdre de l’Atlas), le reste étant constitué d’essences de feuillus qui n’ont pas pour l’instant de vocation de production ».
Mais est-ce vraiment la seule façon d’appréhender le repeuplement du massif ?L’exemple de la partie communale de la forêt touchée par l’incendie (40 hectares) est à cet égard intéressante. Le maire de Baugé-en-Anjou, Philippe Chalopin explique ainsi que même s’il existe « un plan de gestion qui rapporte bon an mal entre 8 et 10000 € à la commune », les problématiques rencontrées ne sont pas les mêmes que celles des propriétaires privés. Dans les faits, après l’évacuation (et la vente) des quelque 6700m3 de bois détruits par le feu et correspondant à quatre-cinq années de coupe, la municipalité beaugeoise n’a d’ailleurs toujours pas pris de décision sur la suite des événements. « Avec l’ONF, en charge de la gestion de la forêt communale majoritairement composée de feuillus – en particulier de chênes -, on est encore en réflexion pour savoir si on va replanter ou laisser pousser les rejets. En attendant, on a déjà investi 140 00€ (et 80 000 à venir) pour l’entretien des chemins communaux forestiers et pour la création de nouveaux coupe-feux. C’est notre rôle de montrer l’exemple avec une gestion plus environnementale qu’économique ».

Régénération naturelle ou plantation : le débat n’est pas encore tranché et la réponse pourra varier en fonction des sites mais le pin maritime restera l’essence objectif dans le cadre d’une exploitation forestière productiviste. En tout cas sur les parcelles privées. Photos J-P Chafes.

« Plus il y a de mélange, mieux c’est »

 Pour d’autres – comme pour Jean-Michel Guillier, expert forestier désormais à la retraite -, l’incendie du 8 août 2022 pourrait même être carrément l’occasion de changer de paradigme concernant l’exploitation de la forêt. Membre du conseil d’administration de Pro Silva France, il dénonce en tout cas la perpétuation d’une sylviculture productiviste. « Quand on pense la forêt comme un lieu de production intensive de bois, le pin maritime est l’essence la plus intéressante. Et c’est pour ce même souci de rentabilité qu’est préconisée après l’incendie la replantation rapide et massive de pins maritimes. Plus vite ils seront plantés, plus vite ils arriveront à maturité et plus vite ils pourront être abattus et vendus. Mais cette vision productiviste et court-termiste est battue en brèche par la répétition des accidents (incendies, mais aussi tempêtes, sècheresse. 

Même le pin maritime qui pousse vite n’a plus le temps d’arriver à maturité entre deux accidents ». A l’instar de ce que certains sylviculteurs ont fait aux quatre coins du pays – et même dans les Landes, où le pin maritime est plus que largement majoritaire -, Jean-Michel Guillier engage donc plutôt les propriétaires impactés par l’incendie à créer sur leurs parcelles une forêt à couvert continu pour une exploitation plus durable. « En favorisant une régénération naturelle et un peuplement mélangé de pins maritimes, de chênes, de châtaigniers, de bouleaux, qui ont des croissances plus ou moins rapides, on s’assure qu’il y ait toujours une production. Surtout quand on ne prélève qu’une partie, entre 10 et 25%, du peuplement à chaque intervention qui a lieu dans une fourchette de 5 à 15 ans. Ce qui signifie également qu’on récolte les arbres d’une même essence à des dimensions différentes qui permettent de les valoriser de façon plus importante. Ce type d’exploitation est possible et a fait ses preuves ailleurs. Alors pourquoi pas à Baugé? »

1 : Dans « Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest » – 1951
* Le 3 septembre 1959, l’incendie avait ravagé 2500 hectares de forêt entre Grézillé, Louerre et Saint-Georges-des-Sept-Voies et provoqué la mort de cinq sapeurs-pompiers. En août 1976 alors qu’une importante sècheresse touche la France depuis plusieurs mois, 2000 hectares brûlent dans la forêt de Fontevraud et 3200 dans celle de Vernantes.

Une forêt d’Anjou nourricière

Une forêt d’Anjou nourricière

A Jarzé, dans le Maine-et-Loire, Quentin Crusson a choisi de laisser la forêt lui dicter ses activités et non l’inverse. Depuis cinq ans, il récolte de la sève de bouleau et espère bientôt produire également des champignons.

Crédit photo Jean-Pierre Chafes

Serait-ce parce que sa génération a totalement intégré l’urgence climatique dans sa vision du monde ? Le fait est que Quentin Crusson, chaudonnier-soudeur de son état, s’est très tôt intéressé à la permaculture. « En écoutant d’abord Damien Dekarz sur sa chaine YouTube, « Permaculture, agroécologie, etc ». En lisant aussi beaucoup. J’ai pris conscience qu’il y avait des choses à faire si on voulait préserver le monde dans lequel on vit. Si par exemple, chaque Français achetait seulement un hectare de forêt, on aurait 60 millions d’hectares protégés ».

3,5 hectares dédiés à la permaculture

Ainsi, Quentin Crusson acquiert en 2016 près de 3,5 hectares de terrain au lieu-dit « la Pierre de l’Âge » sur la 

commune de Jarzé dans le Maine-et-Loire.
Le domaine, baptisé l’Âge de la Perma, devient le nouveau terrain de jeu pour mettre en pratique ce qu’il a retenu de ses lectures. « En quête d’autosuffisance », il s’essaie ainsi à l’élevage de moutons, plante des arbres fruitiers, sème des glands pour créer des haies coupe-vent, et laisse se développer des peupliers trembles pour le bois de chauffage. Mais il se lance surtout dans la production de sève de bouleau.
Dans les années 1960, un incendie a en effet détruit plusieurs hectares de forêt entre Seiches-sur-le-Loir et Jarzé. Et comme il n’y avait pas à l’époque d’obligation de replanter après un incendie, les bouleaux, des arbres pionniers se plaisant sur des sols pauvres, ont donné naissance à une forêt naturelle.

S’adapter au milieu

Quentin Crusson possède ainsi quelques 40 ares de bouleaux. Et s’il dit ne pas avoir acheté son terrain pour y développer cette activité et au contraire, avoir simplement choisi de « s’adapter au milieu, l’un des principes de base de la permaculture », il loue aujourd’hui des arpents supplémentaires de bois à des voisins pendant quelques semaines. En général, la récolte de cette sève connue pour ses vertus drainante et reminéralisante démarre en effet en mars et dure au maximum un mois.

Crédit photo Jean-Pierre Chafes

Mais seulement douze jours en 2023 en raison de la sècheresse. Entre la recherche de nouveaux clients pendant l’hiver, le nettoyage des bidons en février, la récolte en elle-même et la livraison de la sève fraiche qui s’achève fin avril, l’activité, si elle est rémunératrice, n’en reste pas moins très saisonnière.
C’est pourquoi Quentin Crusson a décidé depuis quelques mois de se diversifier. En s’appuyant une nouvelle fois sur la richesse et la biodiversité ce que lui propose la forêt. « Les bouleaux sont fragiles. Ils tombent et cassent à tour de bras avec les coups de vent et avec l’âge. Je récupère tout ce bois pour en faire des bûches dans lesquelles j’inocule du mycélium ( ndlr: partie souterraine du champignon ) de pleurote et de shiitaké. Le bouleau est un excellent substrat naturel pour la culture des champignons. Il est rapidement colonisé ». Empilées sous forme de tours, ces bûches de bouleau ont été installées dans le riche sous-bois dont l’humidité est elle aussi favorable au développement du mycélium. « Si ça marche, la récolte interviendra à une autre période l’année que celle de la sève de bouleau ». Et devenir complémentaire pour le jeune apprenti permaculteur de forêt.