Vin : et pourquoi pas la Bretagne?
Jour de chenin pour ces premières vendanges du domaine La VIgne et l’Abeille, à Theix-Noyalo (56) Photo Julie Reux.
Les vignes reviennent en Bretagne. Depuis l’ouverture des droits de plantation en 2016, et à la faveur du changement climatique, les projets viticoles professionnels se multiplient dans les quatre départements. Récit d’un rêve un peu fou qui devient réalité
En cette matinée ensoleillée de septembre 2023, l’émotion est à son comble au domaine de la Vigne et l’Abeille, à Theix-Noyalo, dans le golfe du Morbihan. C’est jour de vendanges, et c’est la première fois. Aux commandes, Marina et Loïc Fourure, néo-vignerons aussi heureux qu’anxieux dans leur chai encore en chantier. Les finitions attendront : le chenin est prêt, enfin. « Le jour où on a fait notre première plantation, en 2020, c’était la même émotion, se souvient Marina. Ça marque une étape, on se dit ‘ça y est, on est vignerons’. C’est formidable. »
Et dans quelques mois, il y aura du vin. Le millésime 2023 sera peut-être retenu comme le début d’une nouvelle histoire pour la péninsule. Car près d’une centaine de projets viticoles professionnels sont aujourd’hui comptabilisés, répartis dans les quatre départements, et environ 200 hectares sont déjà plantés. Les plus avancés, comme Loïc et Marina, récoltent leur premier ou 2ème millésime. Quelques bouteilles de « vin breton » ont déjà été commercialisées… mais en si petits volumes qu’il est difficile de mettre la main dessus. Pour l’instant.
Un vin en Bretagne jusqu’au début du XXe siècle
Nouveau vignoble, alors? Non! Il s’agit plus d’une renaissance que d’une naissance, les Bretons y tiennent. Dans ses recherches, l’association pour la reconnaissance des vins bretons (ARVB) a établi que la vigne a été implantée au Vème siècle par les religieux pour les besoins du culte chrétien. A la fin du XIXe siècle, la Fine de Rhuys est encore distillée à partir des raisins cultivés sur la presqu’île. Dans les années 1930, la Bretagne est toutefois exclue des délimitations des appellations viticoles (AOC). Sauf le « cinquième » département breton, la Loire-Atlantique. Certains pros du vignoble nantais (très minoritaires) présentent d’ailleurs le muscadet comme le vin breton par excellence.
En tout cas, au début du XXIe siècle, la vigne a quasiment disparu de la Bretagne administrative. Réunissant des passionnés de viticulture en 2006, l’ARVB réussit à protéger les dernières vignes patrimoniales et associatives, et distille l’idée que le vin breton est possible. C’est à ce moment qu’interviennent deux phénomènes : l’ouverture des droits de plantation par l’Europe en 2016, et la prise de conscience du changement climatique.
Avant 2016, il était en effet interdit de planter de la vigne en dehors de zones viticoles, et donc en Bretagne, pour produire du vin et le vendre. La fin de cette spécificité française est le signal attendu par quelques pionniers. Sylvie Guerrero à Treffiagat (29), Edouard Cazals à Saint-Jouan-des-Guérets (35) ou Mathieu le Saux sur l’île de Groix (29) sont parmi les tout premiers à se lancer, rapidement suivis par des dizaines d’autres.
Certains doutent encore, toutefois : faire du vin en Bretagne est certes légal, mais est-ce techniquement possible? Sera-t-il bon? En d’autres termes : le terroir et le climat bretons sont-ils vraiment adaptés à la viticulture?
Les terroirs bretons
« Quand on pense à la Bretagne, c’est choux-fleurs et pluie », s’amuse la géographe Valérie Bonnardot. « Bien sûr, il y a du granit partout. Mais le terroir breton est beaucoup plus varié qu’on le croit ». Cette chercheuse (UMR Rennes) a notamment travaillé sur l’impact du changement climatique sur le vin. Ses études révèlent des différences notables d’ensoleillement et de pluviométrie entre le Nord et le Sud de la péninsule, les bords de mer et la Bretagne « intérieure », ou simplement d’un coteau à l’autre. Une cartographie détaillée reste à réaliser, mais plusieurs secteurs favorables à la vigne se distinguent déjà : le golfe du Morbihan, notamment autour de Sarzeau, au Sud, et les bords de Rance (vers Saint-Malo) au Nord. Mais des projets émergent dans les quatre départements, de Riec-sur-Belon à Pleine-Fougères, et d’Erquy à Groix.
Le changement climatique est évidemment la clé de ce « boum » breton. Il a déjà changé la donne, « et Rennes a aujourd’hui le climat d’Angers il y a cinquante ans », relève la géographe. Et il y pleut en moyenne moins qu’à Bordeaux… A plus long terme, les scenarios les moins optimistes prévoient même une « méditerranéisation » de la Bretagne! Une catastrophe en soi… mais une aubaine pour la viticulture. « A condition de faire les bons choix techniques », et notamment de planter le bon cépage, nuance Valérie Bonnardot. La syrah à Loudéac, ce n’est pas pour tout de suite… Mais les raisins des climats « froids »
ont la côte, chardonnay et pinot noir notamment. Beaucoup misent sur des raisins qui produiront un vin blanc sec ou des bulles, qui supportent des faibles maturités. La liberté étant totale, certains font des choix plus originaux. Sur les conseils de Bertrand Jousset (vigneron de Montlouis, Loire), Catherine Bourdon a planté du chenin à Quiberon. Aurélien Berthou a quant à lui fait le choix de cépages hybrides (solaris, muscaris, sauvignac), plus résistants aux maladies. Pinot meunier, portugais bleu, treixadura, fruhburgunder, savagnin… « Il faudra une génération pour faire le tri », prévient un vigneron breton.
Les vignes de Loïc et Marina Fourure, avec vue sur les marais du golfe du Morbihan. Photo Julie Reux.
S’organiser ensemble
En attendant, l’association des vignerons bretons (AVB), créée en 2021 et qui réunit une trentaine de professionnels travaillant sans pesticides de synthèse, se réjouit de cette diversité. Avant d’envisager la création d’une IGP, les pionniers se rassemblent plutôt autour de la création d’une filière. « Aujourd’hui, il faut aller à Nantes ou Angers pour trouver le matériel, les laboratoires, etc. » explique Aurélien Berthou. Banques, notaires, experts-comptables… Les spécificités de l’activité viticole sont une inconnue dans la région. Être parmi les premiers signifie souvent être très seul, et très patient. Certains portent leur projet à bout de bras depuis près de dix ans!
Dans ces conditions, qu’est-ce qui motive ces aventuriers? Leur attachement viscéral à la Bretagne, pour beaucoup. Et le côté « page blanche », « terre de liberté », pour ceux
venus d’ailleurs. « J’aurais pu m’installer n’importe où, explique ainsi Edouard Cazals, du domaine des Longues Vignes à Saint-Jouan-des-Guérets, qui longtemps travaillé à Bordeaux. Mais j’en avais marre des mers de vignes. Ici, tout est possible. Alors pourquoi pas la Bretagne? »