De plus en plus de variétés légumières disparaissent, emportant avec elles leur valeur patrimoniale, génétique, environnementale ou encore gustative. Face à cette érosion de la biodiversité, des acteurs s’engagent pour faire vivre ces variétés ancestrales, comme l’Union pour les ressources génétiques du Centre-Val de Loire à La Châtre (Indre) ou le conservatoire de Mille Variétés anciennes à Millançay (Loir-et-Cher).
La star du moment est orange. Plutôt élancée. Couverte de verrues. Et répond au doux nom de sucrette de Valençay. Cette courge, cultivée très localement dans l’Indre, a longtemps été introuvable. Activement recherchée depuis 2019, elle est finalement de retour en Centre-Val de Loire.
A l’origine de cette trouvaille, l’URGC, l’Union pour les ressources génétiques du Centre-Val de Loire, basée à La Châtre (Indre). L’association, créée en 2001, a pour objectif de redonner à la biodiversité domestique une place de choix dans le paysage agricole et culinaire de la région. Elle effectue un travail d’inventaire, de conservation, d’expérimentation et de valorisation autour de ces légumes « oubliés ». En France, deux autres structures similaires existent dans les Hauts-de-France, le Centre régional de ressources génétiques, et en Nouvelle Aquitaine, le Conservatoire des ressources génétiques du Centre-Ouest Atlantique.
L’histoire de la sucrette de Valençay, comme tant d’autres avant elle, est « pleine de rebondissements », raconte Lucie Bourreau-Gomez, chargée de mission au sein de l’URGC. « Un vieux lot de semences étaient conservés au conservatoire de Mille Variétés anciennes de Millançay (Loir-et-Cher), mais elles ne germaient plus. »
Un premier appel à témoin permet de retrouver des graines mais celles-ci sont hybridées. L’association retourne sur le terrain, persiste et trouve quatre familles de Vicq-sur-Nahon (Indre) qui la connaissent. L’une d’entre elles a encore des graines. Les semences sont reproduites. La prochaine étape ? La courge sera testée par des maraîchers cette année. La variété, une fois sauvée, devrait retrouver les étals et les assiettes.
Un travail de recherche de longue haleine
Depuis une quinzaine d’années, l’association a retrouvé une quarantaine de variétés régionales, parfois à l’autre bout du globe : la betterave jaune ovoïde des Barres, découverte chez un semencier au Québec, le choux pancalier de Touraine, chez un collectionneur du nord de la France ou encore le céleri violet de Tours, identifié par un jardinier amateur et dont les graines ont été retrouvées chez un professionnel.
Tous les moyens sont bons pour mettre la main sur la plante désirée : écumer les archives, les anciens catalogues de semenciers, passer des appels à témoins dans les journaux locaux et les gazettes municipales, rencontrer les aînés dans les résidences et maisons de retraite, faire des expositions sur une variété oubliée. L’association prévoit même de former des bénévoles pour pister les variétés anciennes sur les marchés, dans les foires aux plantes ou encore chez les jardiniers. Un vrai travail d’enquête en somme.
« Dans la région, nous sommes sûrs qu’il a existé une centaine de variétés locales de légumes », explique la jeune femme. « Nous continuons d’en chercher une soixantaine. » Comme le coco de Selles-sur-Cher. « Nous avons deux-trois archives à ce sujet. Mais peut-être est-ce le même que le coco de Saint-Aignan, une commune située à quelques kilomètres de là, et dont on perd la trace en 1920.»
Conserver les légumes anciens
A un peu plus d’une centaine de kilomètres de là, à Millançay dans le Loir-et-Cher, le conservatoire de semences potagères Mille variétés anciennes collabore régulièrement avec l’URGC. Créée en 1974 par l’un des pionniers de l’agroécologie en France, Philippe Desbrosses, la ferme conservatoire s’attèle à sauvegarder et reproduire les variétés ancestrales, en agriculture biologique.
« Nous sommes sept à travailler ici », explique la directrice du conservatoire et présidente de l’association Mille Variété anciennes Isabelle Poirette. « Nous reproduisons les semences dans les meilleures conditions, un petit peu sous serres au cas où, au maximum en plein champ. Ensuite, nous les goûtons à plusieurs et nous faisons des fiches caractéristiques. »
La ferme reçoit de nombreux dons de graines de jardiniers amateurs du monde entier. Elle les étiquette et les stocke et, quand elle le peut, les teste, avec parfois de belles surprises. « En 2019, nous avons redécouvert des variétés de tomates, baptisées la bonne fée et la tomate mangue. Il y en a une aussi que nous apprécions particulièrement, la tomate château de Chartres. » Une fois cultivées et reproduites, les graines font le chemin inverse. La demande pour ces variétés anciennes est quasi-mondiale.
Aujourd’hui, après cinquante ans d’existence, le lieu abrite plus de 1840 variétés rustiques. Un petit trésor quand on sait que moins de 200 plantes sont à l’origine de la production alimentaire mondiale et neuf d’entre elles représentaient 66 % de la production végétale, selon un rapport de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, datant de 2019.
Des intérêts multiples
Pendant longtemps, le créateur de la ferme-conservatoire Philippe Desbrosses n’a pas mesuré la valeur de son « trésor ». « Au départ, je sentais bien qu’il y avait quelque chose, mais je faisais cela pour la beauté du geste, parce que ces variétés étaient différentes, pour la biodiversité, note-t-il. Mais pas parce qu’il y avait un intérêt. Je ne me rendais pas compte. » Ce qui était du « folklore » se révèle être « fondamental pour la suite ».
Le déclic arrive en 2018, lorsque l’agroécologue est contacté par une chercheuse, Maiwenn L’Hoir, qui s’intéresse dans le cadre de sa thèse aux endophytes microbiens de semences (des systèmes microbiens symbiotiques). « Elle me dit : vous comprenez que j’aimerais beaucoup tester vos variétés anciennes car dans les variétés modernes, il n’y a plus d’endophytes. J’en ai eu des frissons dans le dos. Et puis le résultat est tombé. Nous sommes allés à Montpellier. « Il n’y a pas photo », m’a-t-elle dit. » L’absence d’endophytes conduit à l’appauvrissement des sols, tout comme à la perte nutritionnelle et gustative des légumes. « Les variétés anciennes seraient sept à quatorze fois plus riches en vitamines »,poursuit Philippe Desbrosses.
S’adapter au changement climatique
En matière d’adaptation au changement climatique, les variétés « oubliés » ont aussi un rôle à jouer. De plus en plus, les chercheurs s’intéressent à cette diversité génétique car elle permet une meilleure résistance aux maladies ou au stress climatique (épisode de gel, de sécheresses, vagues de chaleur, etc.) « Nous n’allons d’ailleurs plus bichonner nos semences car elles doivent faire face, souligne Isabelle Poirette. Nous allons les tester dans des conditions extrêmes. Certains préfèrent tout reproduire sous serre pour avoir de bonnes graines. Mais ce qu’il nous faut, c’est des graines résilientes. »
Dans l’Indre, la Grainothèque de Reuilly – une association qui souhaite maintenir une biodiversité cultivée sur son terroir – a déjà commencé à tester des semences en conditions extrêmes. « Les parcelles de sélection comptent parmi les plus mauvais terrains de culture dans le terroir de Reuilly : sol sableux ne retenant pas l’eau, pas de sources ni de retenues naturelles d’eau à proximité, pas d’ombre, zone balayée par les vents, sol naturellement très pauvre et inapte à toutes cultures. Ces conditions sont nécessaires afin de faire un premier « tri » », peut-on lire sur son site internet. Les légumes sont ensuite sélectionnés en fonction de leur aspect, leur vigueur, leur goût et leur résistance aux aléas.
L’intérêt est aussi patrimonial, car les vieilles variétés sont originales, par leur goût, leur texture, leur mode de culture. « Cela fait partie du patrimoine vivant, de la culture de la commune », souligne Lucie Bourreau-Gomez de l’URGC. « Ces variétés anciennes ont un intérêt aujourd’hui. Peut-être qu’à l’avenir, on ira piocher dans ces gènes. »
Du conservatoire à l’assiette
Une fois retrouvés, ces légumes anciens ont vocation à être de nouveau cultivés et dégustés. En Centre-Val de Loire, l’URGC a pour mission de coordonner l’expérimentation dans les champs et en cuisine, auprès de maraîchers et de restaurateurs. L’association mène des études et suit de près ce qui se passe lors des cultures. « Les restaurateurs, quant à eux, nous aident pour les décrire et comprendre leur qualité en cuisine. Cela aide ensuite les maraîchers à mieux les vendre. » La sucrette de Valençay pourra ainsi se déguster en tartinade, grillée au fromage de chèvre ou en salade de quinoa.
Le retour dans les assiettes passe aussi par un travail de sensibilisation et de pédagogie. L’URGC, qui propose régulièrement des expositions, travaille avec l’Éducation nationale autour de deux projets : « Le premier consiste à former des professeurs à la production de graines. Ils peuvent ensuite le faire avec leurs élèves, indique Lucie Bourreau-Gomez. Le second vise à créer une exposition itinérante avec les établissements scolaires, autour des variétés rares. »
De son côté, la ferme de Sainte-Marthe, qui propose régulièrement des formations et des stages depuis 1994, a ouvert un conservatoire pédagogique en 2017 pour présenter aux visiteurs la diversité des espèces et des graines et leur permettre d’en apprendre plus sur les savoirs ancestraux, via une exposition permanente.
Un autre projet de transmission à la jeune génération est particulièrement cher à Philippe Desbrosses et Isabelle Poirette. Alarmés pendant la pandémie de Covid-19 par les files d’étudiants en situation de précarité, attendant des heures sur les trottoirs pour pouvoir se nourrir, ils ont lancé avec leur association Intelligence verte un potager étudiant coopératif à Blois (Loir-et-Cher). Une manière pour les jeunes d’accéder à l’autonomie alimentaire et à une nourriture de qualité. Une aventure sociale et agricole aussi qui a vocation à s’étendre à d’autres campus et à perdurer dans le temps.
Depuis la reprise de la ferme familiale à Millançay, dans le Loir-et-Cher, en 1974, Philippe Desbrosses, 82 ans, mène un combat pour une autre agriculture. Investi dans le développement et l’institutionnalisation de la bio en France et en Europe, il est aussi connu pour son implication dans la sauvegarde des variétés anciennes.
Le ciel est gris, menaçant, en cette journée de mars. Au bout d’un long chemin de terre, bordé de deux étangs, se trouve la ferme-conservatoire de Sainte-Martheet ses 1840 variétés de légumes « oubliés ». Les premiers semis de la saison viennent tout juste d’y être plantés. Ce lieu de culture, d’étude et d’expérimentation, situé à Millançay, dans le Loir-et-Cher, s’étend sur une centaine d’hectares.
Dans la salle de formation, les photos des différentes promotions de stagiaires venues se former à l’agroécologie au fil des ans sont accrochées au mur. Sur les tables, des sachets de graines par dizaines, prêts à être expédiés aux passionnés de variétés ancestrales du monde entier.
« Je vous préviens. Je saute souvent du coq à l’âne », avertit Philippe Desbrosses. A 82 ans, celui qui fait partie des pionniers de l’agroécologie en France, a tant à raconter, « toujours aussi passionné que lorsqu’[’il a] repris cette ferme familiale »,il y a tout juste cinquante ans.
Au départ pourtant, Philippe Desbrosses avait opté pour une autre carrière dans le milieu de la musique. Pendant une dizaine d’années, il évolue et se produit avec son groupe de pop Belisama et se retrouve au hit-parade d’Europe 1. « L’un de nos titres a même été parrainé par Jacques Dutronc au sein de la maison de disque Vogue »,se souvient-il, enjoué.
La conversion en agriculture biologique de la ferme familiale en 1969 réveille en lui l’envie de nouvelles aventures. « J’ai terminé les derniers contrats en 1972 et ensuite, je suis revenu à la terre en 1973. Beaucoup ont pensé que j’avais perdu mon bon sens d’abandonner une carrière prometteuse. Je savais que c’était une profession difficile mais j’avais en moi cette poésie de la campagne, des plantes… »
Cette poésie, ces mots, « je vais vous faire un cadeau »,dit-il, avant de déclamer l’une de ses créations, Le Dimanche du paysan.« Au long des chemins creux/ qui sillonnent les champs/ dans le matin brumeux/ où vas-tu paysan ? / L’aube naît à peine/ à l’horizon sanglant / que déjà dans la plaine / tu marches paysan[…] On rit de toi souvent/ dans les salons feutrés / et ton nom paysan/ sert d’insulte aux valets/ pourtant, quelle noblesse/ chaque jour, humblement/ tu mets là ton adresse/ dans ta tâche, paysan. »
« Ce poème ne m’a jamais quitté. Le jour où je l’ai conçu, j’en avais gros sur le cœur. Je travaillais tous les jours, même le dimanche matin. Et on nous appelait les pecnots, les pedzouilles alors qu’on faisait une activité utile pour l’ensemble de la société. »
L’effervescence d’une époque
Devant Philippe Desbrosses, sur une table, sont posés deux livres : La Fécondité du sol, d’Hans Peter Rusch – « C’est un bijou. J’y redécouvre des choses, très belles, à chaque fois que je lis » – et l’un de ses premiers ouvrages datant de 1987, Le Krach alimentaire – dont la préface de l’abbé Pierre le rend « très fier ». Le paysan a écrit au total une quinzaine d’ouvrages.
Dès son retour à la terre, l’homme se positionne dans le débat public en faveur d’une agriculture plus respectueuse des hommes et du vivant.« Ma curiosité, mon désir d’échanger était tel que je n’avais pas de limite, et ça marchait, les gens m’accueillaient. » Sa participation à l’émission culte de France Inter animé par Jacques Chancel Radioscopie, en 1974, garde pour lui une saveur particulière.
Partout sur la planète, l’agriculture industrielle d’après-guerre est contestée. Les paysans ne supportent plus« de voir les désastres des gros tracteurs qui détruisent le guéret (le sol frais) ». Un mouvement émerge, se structure, comme « une inspiration irrépressible », « un champ nouveau ».
L’opportunité se présente de travailler avec des scientifiques. « Cela m’a donné une culture que je n’avais pas. Cela m’a appris à faire des démonstrations sur ce sujet », poursuit-il, en évoquant les figures de Jean Keilling, professeur à l’Institut national d’agronomie, son mentor pendant vingt ans, d’André Voisin, agronome, des Américains Robert Rodale, fondateur du Rodale Institute, et Eliot Coleman, agriculteur, de l’Allemand Ehrenfried Pfeiffer, auteur de La Fécondité de la Terre, ou encore du Chiloaméricain Miguel Altieri, professeur à l’université de Berkeley, et fondateur de la notion d’agroécologie.
Celui qui fait partie des pionniers conserve précieusement les archives de cette l’époque. « J’en ai des mètres cubes. C’est aussi une force d’avoir vécu toute cette période et d’avoir collecté tous ces médias qui attestent de ce qu’il s’est passé. »
En parallèle, Philippe Desbrosses poursuit son combat pour la biodiversité, passionné par les variétés ancestrales. Le conservatoire de Sainte-Marthe abrite des spécimens rares : pommes de terre noires, épinards-fraises, tournesols géants, etc. Aventurier, il parcourt le monde à la recherche des semences disparues. « Je bénis le ciel de m’avoir mis sur le trajet de ces plantes-là. C’est ma fierté. Quelle chance ! »
Parmi ses premières trouvailles, le potimarron, originaire d’Asie, alors inconnu en Europe. « Alors que j’étais en stage, en 1973, on m’a fait découvrir un soir un potage, raconte-t-il. C’était tellement fabuleux ! […] Vous vous rendez-compte ? Ce goût de purée de châtaignes, cette mine d’or de vitamines… » L’agriculteur repart alors avec des graines. « C’est incroyable. Cela a vraiment pris dans toutes les régions. Aujourd’hui, le potimarron a détrôné la citrouille. »
Inlassablement, il se bat contre les variétés modernes, amputées de leurs qualités, pauvres génétiquement et nutritivement, dont la culture conduit à l’appauvrissement des sols : « La qualité d’un aliment est quand même lié à l’équilibre d’un sol et à la qualité de ces sols. Si on a des sols carencés, on aura des aliments carencés », déclare-t-il en 1989 dans une émission d’Antenne 2.
Titulaire d’un doctorat en sciences de l’environnement, il s’intéresse de près, pendant des années, à une autre plante, protéagineuse, le lupin, et y consacre sa thèse en 1987.« Ily a 200 000 variétés à la surface du globe, dont une dizaine de grandes familles. Le lupin pousse aussi bien dans les montagnes de l’Altiplano à 4000 km d’altitude, que dans les plaines du Soudan. Cela montre à quel point cette plante a été mise sous le boisseau. »
Aujourd’hui encore, il tente de la réhabiliter face à la domination du soja, venu d’Amérique, et poursuit son engagement pour la sauvegarde des ressources génétiques, à travers l’association Intelligence verte, qu’il a fondée aux côtés d’Edgar Morin, de Corinne Lepage ou de Jean-Marie Pelt, et au sein du mouvement Graines de vie.
La lutte pour l’agriculture biologique
Dans les années 1980 dont il garde un « souvenir ému », Philippe Desbrosses joue un rôle dans plusieurs instances nationales et internationales et travaille à l’institutionnalisation de l’agriculture biologique. Expert auprès du ministère de l’Agriculture, il fonde et préside le Cinab, le Comité interprofessionnel national de l’agriculture biologique, et œuvre en France pour la labellisation. Il sera à la tête de la Commission nationale du Label AB jusqu’en 2007.
Puis vient l’échelle européenne. Chef de la délégation européenne de l’Ifoam, l’International federation of organic agriculture movements, une association internationale d’agriculture biologique, il négocie un cadre (cahier des charges, label européen, règlement) auprès de Bruxelles. « Nous avons travaillé pendant sept ans. Je prenais le Thalys régulièrement pour des séances avec le fonctionnaire de l’administration spéciale. J’ai fait feu de tout bois, note-t-il. J’y allais pour les convaincre de la nécessité de changer les rêves de l’agriculture et de changer de braquet. »
En 1991, le combat aboutit à un règlement européen. « Quand les lobbystes du système dominant se sont rendus compte de l’intérêt de l’alternative que nous représentions, le monument était en place. […] Sans les garde-fous de la réglementation du label bio, nous serions aujourd’hui dans une situation ingérable et une empoignade chaotique pour s’approprier ce signe de qualité. »
Le créateur des Entretiens de Millançay – des manifestations autour de l’agriculture biologique où participaient politiques et représentants de la société civile jusqu’en 2014 – continue de dénoncer l’« agriculture de spéculation », face à la crise actuelle que traverse la filière bio : « La bio, elle dérange. Je vous dis carrément que les autorités et les gouvernements dans la plupart des cas privilégient l’agriculture industrielle, parce qu’ils subissent les pressions des grandes multinationales des pesticides, des engrais chimiques, de l’agroalimentaire, etc. »
Des projets, Philippe Desbrosses en a encore plein la tête. Le prochain ? La mise en place d’une université paysanne sur le site de Sainte-Marthe, en partenariat avec l’université de Tours, qui débouchera sur un diplôme universitaire d’enseignement supérieur d’agroécologie. Le lancement, prévu en avril 2024, a été repoussé. L’objectif d’un tel diplôme est de renouer avec une agriculture authentique, d’acquérir des savoirs pratiques et théoriques et de développer une capacité d’autonomie. « En Asie, en Afrique, en Amérique latine, vous avez là des savoir-faire extraordinaires. Mais on oublie tout cela et on écarte volontairement tout ce qui risquerait de perturber le bon fonctionnement du commerce. Tous ces savoirs sont en train de disparaitre. » Et Philippe Desbrosses n’a qu’une envie : les réhabiliter.
Alors que la colère gronde dans les champs, Anne-Marie Filliat, éleveuse de chèvres laitières en agriculture biologique en Indre-et-Loire, dresse sa vision de la crise.
Lorsque les premiers panneaux des villes ont été retournés sur les routes de France pour visibiliser la fronde des agriculteurs fin 2023, et lorsque le mouvement a commencé à se structurer, Anne-Marie Filliat n’a pas hésité. Elle a rejoint le collectif : « J’étais d’accord avec l’idée qu’on marchait sur la tête. J’ai moi-même participé au retournement de panneaux dans ma commune. » Mais la suite des événements lui a laissé un goût amer, un sentiment de déception. « Visiblement, nous n’étions pas tous sur la même longueur d’onde », lâche-t-elle, désenchantée.
Crédit Earl Les Charmilles
A 40 ans, Anne-Marie Filliat est à la tête d’une exploitation de chèvres laitières, fondée en 2009 avec son mari, à Betz-le-Château, près de Loches, en Indre-et-Loire. L’agricultrice, fille d’éleveurs porcins, est revenue, après une période de salariat, sur la terre de son enfance.« L’élevage, c’était en moi », explique-t-elle, simplement.
Son exploitation – un système qui se situe entre l’intensif et l’extensif, selon ses mots – s’étend sur 137 hectares. On y trouve des prairies mais aussi des cultures de céréales et de protéagineux qui servent majoritairement à nourrir ses bêtes, environ 250 chèvres laitières, 75 chevrettes de renouvellement par an et une vingtaine de boucs pour l’insémination artificielle sur chaleurs naturelles. En 2023, la ferme produisait 880 kg de lait en moyenne par chèvre. Celui-ci est transformé en lait cru pour l’Appellation d’origine contrôlée sainte-maure-de-Touraine.
Installée dans un premier temps en conventionnel, l’agricultrice questionne ses pratiques au fil du temps. En2017, le couple choisit de convertir l’exploitation en agriculture biologique. « Quand on est devenus parents, on a eu une prise de conscience. Quel est l’impact de nos cultures ? Que mangeons-nous ? Que laissons-nous à nos enfants ? Grâce à la ferme, nous avions des moyens d’agir. »
L’incompréhension face aux mesures anti-environnement
Le mouvement de protestation s’arrête et c’est la douche froide : « Le problème n’est pas réglé et il sera là de nouveau dans six mois, lance Anne-Marie Filliat. J’estime qu’ils [les manifestants et syndicats] ont laissé tomber leurs revendications [sur les conditions de travail, des prix rémunérateurs, etc.]. Ils ont arrêté de manifester quand le gouvernement a dit qu’il revoyait le plan Ecophyto. Mais le plan Ecophyto est là pour quelque chose : la santé des humains et la protection de l’environnement. Ils ont laissé tomber trop tôt, quand on leur a dit qu’on pourrait toujours produire plus. Selon moi, c’est voué à l’échec de produire comme cela, à tout-va. »
L’éleveuse déplore le manque de prise de conscience par la profession des conséquences sanitaires et environnementales de l’agriculture conventionnelle. Le mouvement ne s’est pas arrêté pour les bonnes raisons : « Ce ne sont pas des solutions qui englobent l’ensemble des agriculteurs », souligne celle qui a choisi d’opter pour les mesures agroenvironnementales. « Et je me sens bien dans mon système, celui que j’ai choisi. »
L’arrêt des manifestations signe également unerupture avec les syndicats : « Est-ce qu’ils nous ont oubliés [nous les agriculteurs qui produisons en bio] ? La FNSEA n’est plus du tout en accord avec ce qu’elle revendiquait au départ. En acceptant de se retirer, elle m’a mise de côté. » Non syndiquée, elle explique dialoguer avec les représentants de toutes les organisations, sans toutefois se sentir représentée. « Tant que les syndicats seront diviseurs, je ne m’y retrouverais pas. » Depuis, alors que le Salon de l’agriculture a ouvert ses portes le 24 février, des manifestations ont repris un peu partout sur le territoire.
Faire face à la crise du bio
Comme toute une filière, celle du bio, Anne-Marie Filliat affronte aussi une crise au sein de son exploitation depuis quelques temps. Et n’hésite pas à partager ses déboires. Dernièrement, l’agricultrice a dû se résoudre à vendre ses céréales dans le circuit conventionnel. « On me proposait de les stocker et d’attendre, mais je ne voulais pas rajouter au surstock qui existe déjà. Et puis, j’avais besoin de trésorerie dans l’été. » Cette fois, c’est la tristesse qui s’invite : « Ce n’est même pas une question de prix, c’est juste terrible de faire tous ces efforts pour que les grains finissent mélangés avec ceux du circuit conventionnel. »
Le long parcours de conversion de son exploitation charrie son lot de difficultés : les efforts financiers d’abord, avec le rachat des semences bio, la baisse de rendement et les emprunts qui, eux, « ne sont pas passés en bio » ; l’arrêt des traitements ensuite – « l’année où le nombre de chardons a explosé, il fallait être convaincu. ». Le couple embauche, aidé par l’aide à la conversion annuelle de 20 000 € de la PAC (Politique agricole commune).
Mais, au bout de cinq ans, lorsque les subventions diminuent de moitié, l’agricultrice doit licencier. « Au 31 décembre 2021, je pouvais tout payer mais je me suis rendu compte que je n’avais plus un rond pour moi. Les chiffres ont parlé d’eux même. On s’est regardé avec mon mari et on a dû prendre cette décision. Humainement, cela m’a coûté. » Autre coup dur, lorsque sa laiterie d’origine propose de passer son lait dans le circuit conventionnel. « Il n’y avait pas de prix pour le lait bio lorsqu’on a signé et lorsqu’on a découvert le prix, ce n’était pas rentable. On a dû s’en aller. »
Alors que la consommation de produits bio diminue en France, l’agricultrice regrette le manque de soutien des pouvoirs publics. Le gouvernement a annoncé fin janvier 50 millions d’euros – réhaussé à 90 millions il y a quelques jours – pour aider la filière bio. Un montant très insuffisant selon la Fédération nationale d’agriculture biologique. « Encore une enveloppe à se partager, ça ne marchera pas », évalue de son côté l’éleveuse. « L’agriculture bio devrait être cent fois plus soutenue. Le bio coûte cher à produire, mais ça a un bénéfice sur la santé. Derrière le bio, c’est de la main d’œuvre. On fait de notre mieux, on produit moins mais mieux. »
Loin de perdre espoir, Anne-Marie Filliat a décidé de batailler et de partir en lutte contre les croyances et les préjugés. « On m’a toujours taquiné sur le fait que le bio ne nourrissait pas la planète. Avec certains voisins, j’ai eu des conversations fortes, les croyances sont tenaces. On produit peut-être moins, mais on produit quand même et on vit de notre métier. Ma croyance à moi, c’est de me dire que si demain cette terre est cultivée en bio, elle sera plus fertile. A partir du moment où on fait revivre les sols, je pense qu’on peut nourrir bien plus de gens qu’on ne le croit. »
Sandrine Besnoit est enseignante-chercheuse en sciences de gestion et du management.
Depuis 2019, elle axe ses recherches sur les agriculteurs et agricultrices et met en exergue les tensions de rôle, c’est-à-dire l’écart et le conflit qui existent entre les attentes multiples de la société vis-à-vis de la profession.
Vous êtes enseignante-chercheuse en sciences de gestion et du management. Quand et comment avez-vous commencé à travailler sur l’agriculture et les agriculteurs ?
J’ai commencé un doctorat en 2018-2019. De ce travail est née une thèse « Travailler, tenir, résister en agriculture » que je soutiendrai prochainement. Au début, je me suis intéressée au stress des agriculteurs – c’était la commande de l’université – je suis allée sur le terrain, en région Centre-Val de Loire, plutôt dans la filière conventionnelle, afin de les rencontrer. Pendant près de cinq ans, j’ai donc rencontré 43 agriculteurs, dont certains que j’ai suivi dans la durée, pendant plusieurs années. Ma méthode consistait à les écouter : il n’y avait pas d’entretien, pas de questions. Je souhaitais savoir comment ils tenaient malgré le contexte qui les entourait. Je voyais que leurs conditions de travail n’étaient pas simples mais je ne voyais pas la question du stress émerger – ce qui ne veut pas dire que le stress n’existe pas. Ils ne le nommaient pas. Et quand je leur posais la question, ils la balayaient. J’ai compris alors que je tenais quelque chose de très intéressant : les tensions de rôle.
Les tensions de rôle sont au cœur de votre travail. De quoi s’agit-il exactement ?
Les tensions de rôle illustrent l’écart qui existe entre tout ce que l’on peut attendre des agriculteurs. Ces derniers ont des casquettes nombreuses et doivent répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire, aux enjeux économiques, sanitaires, environnementaux, à l’enjeu de vivre de leur métier également. Tout cela forme des attentes assez peu compatibles entre elles. Comment produire, tout en respectant l’environnement, avec des prix bas, en proximité, etc. ? Ces attentes multiples entrent en contradiction. Ce en même-temps est parfois, voire souvent, impossible à tenir. Les agriculteurs font face à une équation impossible, une question insoluble.
Et pourtant, malgré ces tensions, vous montrez dans vos travaux que les agriculteurs tiennent, résistent ?
Oui, il y a un certain décalage entre le discours syndical et le terrain : les agriculteurs tiennent. Le monde agricole est complexe, multiple, avec différents visages et réalités. Certes, les agriculteurs font face à de nombreuses tensions et parfois ils basculent (stress, suicide). Mais, dans l’ensemble, bien que ce ne soit pas facile, ils tiennent dans la complexité, avec une certaine créativité. Car même dans les situations compliquées, ils sont résiliant.
Tous droits réservés
Ce que j’ai observé, ce qui fonctionne, c’est la tendance à limiter la dépendance. Lorsqu’ils mettent en place de nouveaux modèles, notamment en agriculture biologique, qu’ils augmentent la complexité de leur exploitation, qu’ils se diversifient davantage et développent d’autres circuits de distributions, ils augmentent la résilience et résistent bien. Lors de certaines crises (gel, sécheresse, Covid), certains résistent mieux que d’autres. Et ce sont souvent ceux qui se positionnent comme chef d’entreprises, avec un modèle économique, qui parlent de rentabilité, de performance, de rémunération et de conditions de travail. Mon travail permet de comprendre que cela ne va pas si mal. Quand on demande aux agriculteurs de s’adapter aux tensions intrinsèques à l’exercice du métier, ils savent faire. Il y a toujours eu des normes et des contraintes dans ce métier.
La question des normes s’est beaucoup invitée dans le débat à l’occasion des récents mouvements d’agriculteurs. Pourquoi ?
Les normes disent quelque chose d’un modèle agricole, celui de la PAC, et cristallisent la colère. Elles ramènent à la question de la dépendance et de l’autonomie et des tensions entre les deux. Les agriculteurs aiment ce métier car ils se sentent autonomes. Et fondamentalement, ce qui est assez paradoxal, ils sont autonomes mais très contrôlés.
Pourquoi ce mouvement de contestations a-t-il émergé ces dernières semaines ?
Il y a plusieurs facteurs mais c’est un peu le bon mouvement au bon moment. Il s’inscrit dans la continuité du mouvement de retournement des panneaux « On marche sur la tête ». Il y a des échéances syndicales, électorales [les élections européennes]. Les agriculteurs ont plus de temps car c’est une saison où l’on passe moins de temps dans les champs. Il y avait aussi une fenêtre médiatique, avec l’approche du Salon de l’agriculture. Ce mouvement-là ne m’a pas surprise car il s’inscrivait dans la continuité des précédents. On oublie qu’il y a régulièrement des mouvements d’agriculteurs. Ces derniers vont devant les DDT (Direction départementale des territoires), les agences de l’eau, etc. C’est plutôt sain que les agriculteurs manifestent. Je crois beaucoup aux collectifs, cela permet de se faire entendre et d’être vus car il y a parfois une déconnexion entre l’agriculteur et le consommateur. C’est aussi un moment de partage avec les pairs car beaucoup ont une pratique du métier solitaire ou encore un moyen de redire ce qu’est leur métier.
Le mouvement semble s’être stoppé après les mesures annoncées par le gouvernement. Puis a repris.
Lors de ce mouvement qui portait sur des questions de fonds, on a beaucoup entendu parler du poids des normes, de la PAC, de l’Europe, des subventions, de charges administratives, des contraintes environnementales. Le gouvernement a apporté des réponses – comme la suspension du plan Ecophyto et de ses normes qui a pu satisfaire les représentants des syndicats majoritaires – mais ce ne sont pas des mesures de simplification administrative qui vont répondre à cette crise. La question est plus vaste, plus diverse. De plus, les nouvelles mesures sont vues comme des réponses mais elles peuvent parfois rajouter des contraintes. Ainsi, en créant de nouvelles mesures, on crée parfois de nouveaux rôles et on risque d’engendrer une surcharge physiologique et physique, car il en faut toujours plus pour un niveau de vie soutenable. Cette question du cumul des activités, des casquettes, est une question fondamentale en agriculture. Il y a une forme d’ubérisation, où on accepte que les agriculteurs ne vivent plus que des activités agricoles.
Comment se positionne la société face à ce mouvement ?
Les agriculteurs exercent un métier pas comme les autres, un métier de service public. Lorsque la colère était à son paroxysme, je regardais les commentaires. On pouvait voir un certain attachement à la figure de l’agriculteur. Mais les consommateurs, les citoyens, sont aussi ambivalents. Leur proximité avec le monde agricole s’étiole. Chacun, les consommateurs, les citoyens, les gens de la ruralité, a donc un rôle à jouer, une part à prendre.
Au croisement du Loiret, du Loir-et-Cher et du Cher, la Sologne compte plus de 4000 km de grillages. Ce qui empêche la faune de circuler librement. Des citoyens en ont fait leur combat.
Crédit Toinon Debenne
Le grillage qui descend de la clôture est recourbé, posé contre le sol. En poussant un peu, l’animal peut traverser. Mais une fois entré, le piège se referme. Impossible de soulever de nouveau le métal pour sortir. Plus loin, une grille, dont la partie inférieure est renforcée sur une trentaine de centimètres, empêche toute la petite faune de passer. Ailleurs, c’est un « mur » de fer infranchissable de deux mètres de haut, surplombé de barbelés qui attend les cervidés. A un autre endroit, ce ne sont pas une mais deux clôtures qui sont érigées parallèlement à quelques mètres d’intervalle. Au croisement du Loir-et-Cher, du Loiret et du Cher, la forêt de Sologne (500 000 hectares), en partie classée Natura 2000, compte environ de 4000 km de grillages. Au volant de son pickup, Raymond Louis arpente
les chemins forestiers et dresse un constat amer. Le président des Amis des chemins de Sologne lutte depuis 26 ans contre l’engrillagement de ce territoire où il est né et pour la préservation des chemins ruraux, aux côtés de son épouse Marie, secrétaire de l’association. « C’est notre combat ! »
Des pratiques cynégétiques contestées
Sur son portable, Marie Louis fait défiler une vidéo. Celle d’un sanglier en bord de route, qui tente en vain de rejoindre la forêt, bloqué par la clôture contre laquelle il se cogne encore et encore. Puis, c’est un défilé de photos de cervidés, restés prisonniers des grillages en essayant de les franchir. « On arrive quasiment toujours trop tard » pour les sauver, lâche-t-elle, dépitée. « Ce n’est pas normal de voir des animaux cloisonnés derrière des grillages », réenchérit son mari. Par endroits, au bord de ces barrières, le sous-bois piétiné, abîmé, atteste de la présence importante de sangliers, coincés au sein d’une propriété. Car si les clôtures délimitent des propriétés privées, parfois hermétiques et surveillées – notamment celles de propriétaires influents et fortunés –, elles servent avant tout à y retenir le gibier, des animaux sauvages qui n’appartiennent pourtant à personne. De l’autre côté des grillages, on aperçoit parfois des rangés de miradors. La problématique de l’engrillagement de la Sologne est intimement liée à la chasse. « Ce n’est pas de la chasse », tient à rectifier avec véhémence le président des Amis des chemins de Sologne. Lui-même chasseur, il dénonce des pratiques cynégétiques « anormales », « bling-bling », « qui manquent d’éthique », dont l’objectif est « d’en mettre plein la vue au copain ». «On met les postés sur la la face où il n’y a pas de grillage et là, c’est le massacre.
Crédit Les Amis des chemins de Sologne
On se retrouve avec des territoires où 150 à 200 sangliers sont prélevés par jour de chasse. »
Une loi pour faciliter le déplacement des animaux
Le combat mené par le couple Louis fédère. L’association revendique aujourd’hui plus de 1000 adhérents (propriétaires, élus, communes), des soutiens de personnalités comme le réalisateur Nicolas Vannier et l’acteur François Cluzet ou de politiques comme le député Renaissance du Cher François Cormier-Bouligeon, l’ancien sénateur du Loiret républicain Jean-Noël Cardoux ou le président socialiste de la région Centre-Val de Loire François Bonneau.
Crédit Les Amis des chemins de Sologne
Ce qui a abouti à une loi, visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, promulguée le 2 février 2023. Les clôtures doivent désormais être posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol afin de laisser passer la petite faune et les sangliers et leur hauteur est limitée à 1,20 mètre pour permettre aux cervidés de les franchir. Les clôtures existantes, érigées entre 1993 et 2023, devront être mises en conformité avant le 1er janvier 2027 et les plus anciennes ont l’interdiction d’être rénovées. D’autres régions comme la Brenne, la Picardie, le Sancerrois ou les Landes sont concernées, dans une moindre mesure. Cette avancée marque une victoire d’étape pour les époux Louis. Car un an après le vote de la loi, dont les décrets d’application sont attendus prochainement, la lutte contre l’engrillagement est loin d’être terminée. De nouveaux grillages qui ne respectent pas la loi continuent d’apparaître en Sologne. L’Office français de la biodiversité, l’OFB, recense une trentaine de signalements, explique Jean-Noël Rieffel, directeur régional dans le Centre-Val de Loire. « Depuis la loi, nous expertisons tous les signalements [faits par les associations ou sur auto-saisi de l’OFB]. Nous nous focalisons sur les nouvelles clôtures », dans l’attente des décrets. La procédure commence par échange contradictoire avec le propriétaire, avant une éventuelle verbalisation.
« Parfois les propriétaires sont au courant [de l’existence de la législation] et se jouent de la loi. » Cinq affaires sont en cours ou ont abouti à des condamnations comme l’obligation de mise en conformité ou de suivre un stage de citoyenneté environnementale.
Des conséquences sur les écosystèmes
L’engrillagement solognot est aussi lourd de conséquences pour l’ensemble de l’écosystème forestier. « Il y a un enjeu de continuité écologique, explique Jean-Noël Rieffel. [Outre le gibier], on pense peu à la petite faune comme les hérissons ou les amphibiens – les salamandres, les crapauds – mais eux aussi peinent à franchir » ces barrières. Les risques sanitaires sont élevés, avec une consanguinité rendue plus probable par la densité importante de gibier. « A certains endroits, les animaux se regroupent davantage et les brassages génétiques sont moindres, avec des cerfs par exemple qui ne sont plus en mesure de se reproduire. » La présence d’espèces exogènes importées sur le territoire pose aussi question, avec « des enclos où on ne connaît pas la provenance des animaux ». Le changement climatique et l’augmentation du risque incendie en Sologne inquiète également. « Des animaux sont pris au piège dans des grands parcs, des territoires où ils n’ont même pas à boire, souligne Raymond Louis. [Avec le changement climatique], ça va être catastrophique. S’il y a un incendie comme dans les Landes, les animaux ne pourront pas fuir. » Quant à Marie Louis, elle aussi se questionne sur l’avenir : « Vivra-t-on assez longtemps pour voir une Sologne sans grillages ? »