Gaston et sa forêt
C’est avec Gaston que nous avons passé le plus clair de nos journées. Parfois surpris (c’est un euphémisme) par notre naïveté et nos méconnaissances, il aura fallu un temps d’acclimatation, et des moments de partage pour s’apprivoiser … Mais au fil des jours, Gaston, plein d’humour et de malice, se livre à nous, nous dévoilant son passé de fervent antimilitariste et anarchiste. À 20 ans, il refuse le service militaire. Emprisonné pour insoumission totale, il fera en prison une grève de la faim pour obtenir le régime politique. Suivront ses aventures paysannes nicaraguayennes pendant la révolution, au cours desquelles il aide un ami apiculteur, à une époque où les contre-révolutionnaires rôdent armés dans les champs. Puis, on en apprend plus sur ses débuts en Ardèche, lui le jeune charpentier installé dans la communauté anarchiste de la Blacherette, qui rencontrera bientôt Arlette. Défenseur d’un monde sans propriété privée, il est pourtant propriétaire de plusieurs hectares de forêt aux alentours. Alors, je l’ai questionné : ce n’est pas un peu antagonique ça, être anarchiste et propriétaire ? Il me répond que pour lui, posséder une forêt, ce n’est pas posséder une maison, c’est gérer un bien commun universel, et faire le choix de le redonner aux citoyens et à la nature. Depuis des années, il travaille avec un expert forestier pour prendre soin de sa forêt via une sylviculture pro silva (association de forestiers réunis pour promouvoir une “sylviculture mélangée à couvert continu“). Ce choix il le fait pour lutter contre les risques d’incendies, pour la régénération naturelle, et la biodiversité. Il pense aussi beaucoup aux générations à venir car le rapport au temps dans la forêt dépasse notre simple existence : lui considère que sa forêt pousse vite quand il faut 10 ans à un arbre pour prendre quelques mètres. Il finit par me dire, un peu agacé : « J’accueille parfois des gens qui rêvent d’une maison en bois, mais qui sont choqués quand je dis que j’abats des arbres. Pourtant, il faut bien du bois pour une maison, même bioclimatique, non ? Laisser des forêts comme celles que nous avons ici en Ardèche, intactes, ce n’est pas bon. C’est très manichéen de penser que ne rien toucher à la nature qui nous entoure, ça réglera tout. »
Faire société autrement, vieillir autrement
Bien sûr, Gaston, Arlette et leurs voisins ne sont pas des paysans agriculteurs puisqu’ils sont retraités. Ils ne vivent pas de leur production de châtaigne, qu’ils s’obstinent tout de même à maintenir, en travaillant chaque année avec acharnement pour sortir de la confiture et de la farine. Mais découvrir l’existence que ces personnes retraitées mènent dans un espace difficile et escarpé comme l’Ardèche, m’a fascinée. Une vie très remplie, liée à l’autre, habitée par une soif d’apprendre et de découverte immense. J’y ai côtoyé une richesse humaine et un rythme de vie que je ne m’étais pas autorisée à imaginer dans mon propre quotidien.
Ce lieu m’a aussi ramenée à la nécessité d’un ancrage local quand on fait le choix de vivre en zone rurale. J’y ai vu le maintien d’une culture de l’entraide, d’une économie de proximité qui passe par un tas de projets permettant à chacun d’habiter sereinement et durablement ces espaces. Des espaces ruraux qui paraissent souvent isolés et enclavés pour ceux qui n’y vivent pas. Moi qui viens de la grande ville, l’isolement est une crainte liée à mon choix d’une vie plus rurale. Les clichés ont la vie dure, car c’est tout l’inverse que j’ai trouvé, au Vernet.